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545. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Le Comte Léon Tolstoï »

La suite des chapitres qui décrivent avec quel sentiment de trouble, d’horreur, de descellement de tous les fondements sociaux, la prise, l’incendie de Moscou, l’affolement, la sinistre soif de sang et de souffrances de toute cette population confondue, et abolissant dans l’éperdument de tous la raison de chacun, se continue par un raid de cosaques embusqués sur les pas de l’armée française en retraite, sous une pluie battante, dans une forêt défeuillée, par cet étrange bivouac des Russes où apparaissent deux ombres hâves de soldats français bientôt réconfortés, égayés et égayant toute la ronde ; par les larges dîners de club à Moscou, par de minutieux aperçus des salons aristocratiques de Saint-Pétersbourg, par les scènes de famille des Rostow, par cette nuit blanche de lune que Natacha et Sonia contemplent de leur fenêtre avec de légères paroles, tout l’ensemble enfin de ces scènes fugitives, familières, graves, belles, tragiques, toujours humaines, qui, surprises et restituées avec une force d’irrésistible persuasion, avec une accumulation des détails, avec un saisi graphique des incidents, partagent le lecteur entre une adhésion apparemment toute naturelle et une admiration parfois stupéfaite, imposent l’intérêt et la sympathie, font de ces livres, d’invention pourtant, mais auxquels s’applique si mal la désignation de romans, un des plus vastes et des plus véridiques recueils d’observations sur les mœurs et les individus dans la série presque complète des circonstances ordinaires et extraordinaires de la vie. […] Wronsky, Lévine, Anna, dans Anna Karénine, le prince André, le prince Pierre, Natacha, Nicolas Rostow dans La Guerre et la Paix, confessés et se confessant, agissant, parlant et pensant, se témoignent chacun par une suite de manifestations si nombreuses et caractéristiques, pendant un laps de temps si considérable et si plein, que le spectacle même de leur vie ne pourrait donner une notion plus distincte de leur être. […] Il semble que le romancier soit au centre et à la suite des lentes ondes de mouvement qui font se durcir et s’effriter les roches, pousser et se flétrir tes plantes, s’affermir et vieillir les animaux, qui poussent les enfants à l’adolescence, les jeunes gens enthousiastes et mobiles à l’âge des décisions égoïstement rassises, qui fanent les femmes et les hommes, les talent ou les raidissent peu à peu en une vieillesse radoteuse ou rageuse et les portent ainsi de la naissance à la mort par d’insensibles gains et d’irréparables pertes. […] Il en est ainsi des transformations du prince Pierre, de la mort somptueuse et harcelée du vieux prince Besoukhof, de toute la vie seigneuriale et familiale des Rostow, et si l’on veut surprendre nettement ces alternatives d’abandon et d’ardeur, qui dans la pauvreté de langue de la traduction constituent le style, le style parfois magnifique de Tolstoï, que l’on prenne la suite de chapitres où se prolonge, où s’exalte l’agonie du prince André, le ventre déchiré d’un biscaïen à Borodino, on y verra de quel singulier art l’écrivain sait relever la narration des faits, de ces phrases grandioses et lourdes de sens qui désignent comme jamais il ne le fut le mystère d’un homme défaillant et mourant entre les mains tièdes d’êtres qui vivent. […] Les livres ne charment et ne passionnent, n’exercent leur effet proprement artistique qu’en présentant les lieux, les gens, les scènes, les idées, non pas comme des objets de science ou d’expérience, selon les catégories de la connaissance, mais comme des objets de sentiment, connus chacun longuement et isolément, simplement et immédiatement, par un acte qui les suscite dans l’esprit, du lecteur, non comparés de suite et envisagés comme parties d’une classe, d’une loi, d’un système, et perçus ainsi par rapports, mais uniques, sentis en eux-mêmes, avec le sourd ébranlement des états de conscience continus ; l’âme éprouve alors non pas la succession rapide de ses pensées, de ses transitions, mais la vibration même de chacun de ses heurts ; se déprenant de l’ascendant des phénomènes, de l’oubli d’elle-même où ils l’entraînent, elle le rencontre et se sait exister dans ces atteintes plus intenses, pénètre ce qu’ils lui sont et frémit aussitôt de haine ou d’amour, d’aversions ou de sympathies, que le mensonge de l’art rend innocentes mais laisse violentes.

546. (1896) Les idées en marche pp. 1-385

Désir qui met en branle une suite infinie d’images : nous tenons là les termes du problème. […] Elles se reproduiront avec de faibles variantes dans la suite des âges, indéfiniment. […] Rien de plus parfait qu’une suite de miniatures qui deviennent une fresque pour le souvenir. […] Il finit par se battre en duel et meurt des suites de sa blessure. […] Sa logique est une suite de cordages, une manœuvre de bord.

547. (1891) Essais sur l’histoire de la littérature française pp. -384

Chacun comprend de suite : « Les stigmates dégoûtants ». […] Le politique n’a qu’une heure dans la suite des siècles. […] Il traitera le long travail d’une longue suite de générations comme un caprice accidentel du despotisme de Louis. […] Par quelle suite de raisonnements captieux l’iniquité lui était-elle devenue justice ? […] Il est jeune, volage et sans suite ; son vice est jeune, volage et décousu comme lui.

548. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Eugène Gandar »

Guigniaut, il nous expose la suite régulière de ses études, de ses excursions, de ses vues et de ses projets qu’il n’a pas tous remplis. […] Ses qualités, au fond restées les mêmes, prirent par la suite une teinte de réserve ; son ardeur se concentra. […] On peut prendre idée de la forte acquisition et de la dépense intellectuelle de Gandar durant tout ce temps par ses discours et programmes imprimés, mais surtout dans ses lettres, qui nous initient à ses efforts et à cette suite, à cette simultanéité de riches et fécondes études. […] Gandar, qui a si bien rendu toute justice au Dante, n’est pas injuste pour l’Arioste, pas plus que tout à l’heure pour Sheridan, et, à l’occasion des ouvrages du Titien réunis à l’Exposition de Manchester, et d’une suite de portraits excellents, il écrivait : « Le meilleur de tous, et l’une des peintures les plus parfaites de toute cette Exposition, est un portrait de l’Arioste. […] Généralisant son point de vue, y rattachant le résultat de ses précédentes études sur Dante et Pétrarque, il s’était arrêté à l’idée de réunir sous ce titre : Des Confessions poétiques, une suite d’analyses dans lesquelles il aurait présenté les modifications du sentiment personnel se produisant aux différents siècles.

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