Les souvenirs, en pareil cas, peuvent être auditifs ou visuels. […] Même, il nous est difficile de distinguer ce qui est souvenir de l’oreille et ce qui est habitude d’articulation. […] Mais il faut remarquer que ces deux groupes de souvenirs — souvenirs auditifs et souvenirs moteurs — sont de même ordre, également concrets, également voisins de la sensation : ils sont, pour revenir à l’expression déjà employée, sur un même « plan de conscience ». […] Analysez votre effort quand vous évoquez avec peine un souvenir simple. […] Peut-être la résurrection soudaine du souvenir utile fut-elle l’effet du hasard.
On ne sauroit peut-être pas qu’il a fait des Pieces de Théatre, sans ce Vers : Vous souvient-il, ma sœur, du feu Roi notre pere ? auquel un plaisant du Parterre répondit : Ma foi s’il m’en souvient, il ne m’en souvient guere. […] Ses autres Ouvrages, tous médiocres, & même au dessous du médiocre, sont restés dans l’oubli, & l’on a eu raison de dire dans son épitaphe : Ci-gît un Auteur peu fêté, Qui crut aller tout droit à l’immortalité ; Mais sa gloire & son corps n’ont qu’une même biere ; Et lorsqu’Abeille on nommera, Dame Postérité dira : Ma foi s’il m’en souvient, il ne m’en souvient guere.
Ajoutons que, cependant, il aurait toujours l’appétition, en l’absence du souvenir ; cela suffirait pour maintenir le mouvement de ses représentations instantanées, étincelles mortes en naissant. […] Le semblable, dans le cerveau, tend à s’associer mécaniquement avec le semblable en vertu de la continuité des parties similaires : voilà le ressort moteur des idées et souvenirs. […] Aussi les mêmes objets ne réveillent-ils pas les mêmes souvenirs quand nous sommes gais ou quand nous sommes tristes. […] « D’abord, dit-il, j’étais couché sur mon lit au moment même de ce souvenir ; première concordance ; puis j’avais vu le visage de l’enfant piqué par les mouches ; mais que de fois j’ai éprouvé le même inconvénient sans avoir le même souvenir ! […] Enfin, c’est déjà jouir que se souvenir, car c’est contempler des semblables et doubler sans effort le présent avec le passé ; de là cette volupté secrète qui se retrouve jusque dans le souvenir de la douleur.
Il ne s’ensuit pas que le souvenir soit impossible sans les mots : le mot n’est jamais qu’un élément du souvenir, remémoré au même titre et suivant les mêmes lois que ses associés. […] D’abord, le sommeil imite et ne répète pas ; le souvenir, dans le rêve, est de courte haleine ; l’imagination seule est féconde. […] La reconnaissance, qui fait que le souvenir nous paraît un souvenir et non un état nouveau [ch. […] Ainsi, quand un état faible revient à la conscience comme état fort, il n’est pas reconnu ; c’est un souvenir, si l’on veut, mais un souvenir qui, faute de reconnaissance, paraît un état nouveau ; sans la reconnaissance, la mémoire est pour nous comme si elle n’était pas, et c’est à bon droit que les psychologues refusent le nom de souvenir à la reproduction d’un état, quand aucun état accessoire ne se joint à la reproduction pour la qualifier comme telle. A l’âme qui veut se connaître, de même que la conscience n’est rien sans le souvenir, le souvenir n’est rien sans la reconnaissance.