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193. (1772) Bibliothèque d’un homme de goût, ou Avis sur le choix des meilleurs livres écrits en notre langue sur tous les genres de sciences et de littérature. Tome I « Bibliotheque d’un homme de goût. — Chapitre II. Des poëtes étrangers. » pp. 94-141

Ce genre d’ouvrage mêlé de vers & de récits en prose, a quelque chose de moins frappant que celui qui se soutient par l’action, ou la représentation, tels que le Pastor Fido, l’Aminte & quelques autres ; mais il n’est pas moins susceptible de grandes beautés dans une main aussi habile que celle de Sannazar. […] Où trouver des caractères plus variés, plus fortement soutenus que dans la Jérusalem délivrée ? […] Il a sçu soutenir l’intérêt de sa piéce, en ménageant dans son sujet même des situations touchantes sans faire intervenir une double action. […] Les caractères en sont bien frappés & bien soutenus.

194. (1867) Nouveaux lundis. Tome VIII « Don Quichotte (suite.) »

Mais ces allusions ne sont qu’accessoires et incidentes, et l’opinion qui irait à soutenir, comme on l’a fait, que Cervantes a voulu dans son ouvrage ridiculiser Charles-Quint ou même le ministre duc de Lerme, ne mériterait pas l’examen. […] Soldat, aventurier, esclave algérien, employé de finance, prisonnier, romancier, c’est un Gil Blas, mais un Gil Blas assombri, et qui n’est pas destiné à s’écrier comme l’autre dans sa jolie maison de Lirias : Inveni portum… » C’est étrangement rabaisser Cervantes (toujours d’après notre auteur), que de soutenir qu’il a employé la fleur de son génie à combattre l’influence de quelques romans de mauvais goût, dont le succès retardait sur les mœurs du siècle et n’avait plus aucune racine dans la société d’alors : « Ce que je crois plutôt, s’écrie le nouveau commentateur, qui a lu son Don Quichotte comme d’autres leur Bible ou leur Homère, et qui y a tout vu, c’est que le chevaleresque Cervantes, qui s’était précipité dans ce qui, à la fin du xvie  siècle, restait de mouvement héroïque, dut se sentir abattre par le désenchantement d’un croyant plein de ferveur qui n’a pas trouvé à fournir carrière pleine, qui dans l’exagération de son idéal s’est heurté et blessé contre les réalités, et qui, après avoir été contraint d’abdiquer l’action, s’est condamné à une retraite douloureuse, s’est réfugié dans ses rêves, et en dernier lieu, dans un testament immortel, lance à son siècle une satire qui n’était pas destinée à être comprise de ce siècle et dont l’avenir seul était chargé de trouver la clé. » Et nous adjurant à la fin dans un sentiment de tendre admiration, essayant de nous entraîner dans son vœu d’une réhabilitation désirée, l’écrivain, que je regrette de ne pas connaître, élève son paradoxe jusqu’aux accents de l’éloquence : « Ah ! […]   Faire comme Sancho, en se formant comme lui chaque jour et en se dégrossissant de plus en plus, c’est-à-dire aller d’une plus grosse absurdité à une absurdité moindre, savez-vous que, si l’on était bien ironique, on pourrait soutenir sans trop d’invraisemblance que c’est peut-être là, en certaines branches, tout le progrès possible pour l’humanité ?

195. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — II »

Tout ce qu’on en voyoit au dehors inspiroit de la piété ; on admiroit la manière grave et touchante dont les louanges de Dieu y étoient chantées, la simplicité et en même temps la propreté de leur église, la modestie des domestiques, la solitude des parloirs, le peu d’empressement des religieuses à y soutenir la conversation, leur peu de curiosité pour savoir les choses du monde et même les affaires de leurs proches ; en un mot, une entière indifférence pour tout ce qui ne regardoit point Dieu. […] Talma, qui, dans ses dernières années, en était venu à donner à ses rôles, surtout à ceux que lui fournissait Corneille, une simplicité d’action, une familiarité saisissante et sublime, l’aurait vainement essayé pour les héros de Racine ; il eût même été coupable de briser la déclamation soutenue de leur discours, et de ramener à la causerie ce beau vers un peu chanté. […] Il était doux, fleuri, agréablement subtil, épris des antiques chimères, doué des signes gracieux de l’avenir ; et sa prose, encor qu’un peu traînante, ne ressemblait pas mal à ces beaux vieillards divins dont il nous parle souvent, à longue barbe plus blanche que la neige, et qui, soutenus d’un bâton d’ivoire, s’acheminaient lentement au milieu des bocages vers un temple du plus pur marbre de Paros.

196. (1920) La mêlée symboliste. II. 1890-1900 « Oscar Wilde à Paris » pp. 125-145

Byron n’a pu soutenir jusqu’au bout son personnage de dandy et encore moins celui que l’on avait appelé « Mademoiselle Byron » : Alfred de Musset. […] Pourtant il doit soutenir son rôle jusqu’au bout. » Le tort de Wilde ou son excuse, selon le point de vue où l’on se place, c’est de n’avoir pas pu soutenir jusqu’au bout son personnage.

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