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1070. (1871) Portraits contemporains. Tome V (4e éd.) « PENSÉES FRAGMENTS ET LETTRES DE BLAISE PASCAL, Publiés pour la première fois conformément aux manuscrits, par M. Prosper Faugère. (1844). » pp. 193-224

Une meilleure édition n’est même possible aujourd’hui et l’on n’y a songé que parce que cette première a rempli tout son objet. […] Trop de littéralité judaïque pour l’impression des œuvres posthumes est, qu’on y songe, un autre genre d’infidélité envers les morts : car eux-mêmes, vivants, auraient, en plus d’un cas, avisé et modifié Selon l’observation excellente que j’entendais faire à M allanche, beaucoup de ces mots étonnants et outrés qu’on surprend sur les brouillons de Pascal (comme cela vous abêtira 61, pouvaient bien n’être, dans sa sténographie rapide, qu’une sorte de mnémonique pour accrocher plus à fond la pensée et la retrouver plus sûrement.

1071. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Racine — I »

Il faut envoyer consulter l’oracle… » Au troisième acte, au moment où Thésée, qu’on croyait mort, arrive, et quand Phèdre, œnone et Hippolyte sont en présence, Phèdre ne trouve rien de mieux que de s’enfuir en s’écriant : Je ne dois désormais songer qu’à me cacher ; c’est imiter l’art ingénieux de Timanthe, qui, à l’instant solennel, voila la tête d’Agamemnon. […] Je compte les miennes pour rien ; mais votre mère et vos petites sœurs prioient tous les jours Dieu qu’il vous préservât de tout accident, et on faisoit la même chose à Port-Royal. » Et plus bas : « M. de Torcy m’a appris que vous étiez dans la Gazette de Hollande : si je l’avois su, je l’aurois fait acheter pour la lire à vos petites sœurs, qui vous croiroient devenu un homme de conséquence. » On voit que madame Racine songeait toujours à son fils absent, et que, chaque fois qu’on servait quelque chose d’un peu bon sur la table, elle ne pouvait s’empêcher de dire : « Racine en auroit volontiers mangé. » Un ami qui revenait de Hollande, M. de Bonnac, apporta à la famille des nouvelles du fils chéri ; on l’accabla de questions, et ses réponses furent toutes satisfaisantes : « Mais je n’ai osé, écrit l’excellent père, lui demander si vous pensiez un peu au bon Dieu, et j’ai eu peur que la réponse ne fût pas telle que je l’aurois souhaitée. » L’événement domestique le plus important des dernières années de Racine est la profession que fit à Melun sa fille cadette, âgée de dix-huit ans ; il parle à son fils de la cérémonie, et en raconte les détails à sa vieille tante, qui vivait toujours à Port-Royal dont elle était abbesse25 ; il n’avait cessé de sangloter pendant tout l’office : ainsi, de ce cœur brisé, des trésors d’amour, des effusions inexprimables s’échappaient par ces sanglots ; c’était comme l’huile versée du vase de Marie.

1072. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Du génie critique et de Bayle »

Il avertit en un endroit son frère cadet qu’il lui parle des livres sans aucun égard à la bonté ou à l’utilité qu’on en peut tirer : « Et ce qui me détermine à vous en faire mention est uniquement qu’ils sont nouveaux, ou que je les ai lus, ou que j’en ai ouï parler. » Bayle ne peut s’empêcher de faire ainsi ; il s’en plaint, il s’en blâme, et retombe toujours : « Le dernier livre que je vois, écrit-il de Genève à son frère, est celui que je préfère à tous les autres. » Langues, philosophie, histoire, antiquité, géographie, livres galants, il se jette à tout, selon que ces diverses matières lui sont offertes : « D’où que cela procède, il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresse, que moi de livres. » Il attribue ces échappées de son esprit à quelque manque de discipline dans son éducation : « Je ne songe jamais à la manière dont j’ai été conduit dans mes études, que les larmes ne m’en viennent aux yeux. […] Il n’aime guère la femme ; il ne songe pas à se marier : « Je ne sais si un certain fonds de paresse et un trop grand amour du repos et d’une vie exempte de soins, un goût excessif pour l’étude et une humeur un peu portée au chagrin, ne me feront toujours préférer l’état de garçon à celui d’homme marié. » Il n’éprouve pas même au sujet de la femme et contre elle cette espèce d’émotion d’un savant une fois trompé, de l’antiquaire dans Scott, contre le genre-femme.

1073. (1875) Les origines de la France contemporaine. L’Ancien Régime. Tomes I et II « Livre troisième. L’esprit et la doctrine. — Chapitre II. Deuxième élément, l’esprit classique. »

Elle n’est que l’organe d’une certaine raison, la raison raisonnante, celle qui veut penser avec le moins de préparation et le plus de commodité qu’il se pourra, qui se contente de son acquis, qui ne songe pas à l’accroître ou à le renouveler, qui ne sait pas ou ne veut pas embrasser la plénitude et la complexité des choses réelles. […] Toute la littérature classique porte l’empreinte de ce talent ; il n’y a pas de genre où il ne pénètre et n’introduise les qualités d’un bon discours  Il domine dans les genres qui, par eux-mêmes, ne sont qu’à demi littéraires, mais qui, grâce à lui, le deviennent, et il transforme en belles œuvres d’art des écrits que leur matière semblait reléguer parmi les livres de science, parmi les instruments d’action, parmi les documents d’histoire, traités philosophiques, exposés de doctrine, sermons, polémique, dissertations et démonstrations, dictionnaires mêmes, depuis Descartes jusqu’à Condillac, depuis Bossuet jusqu’à Buffon et Voltaire, depuis Pascal jusqu’à Rousseau et Beaumarchais, bref la prose presque tout entière, même les dépêches officielles et la correspondance diplomatique, même les correspondances intimes, et, depuis Mme de Sévigné jusqu’à Mme du Deffand, tant de lettres parfaites échappées à la plume de femmes qui n’y songeaient pas  Il domine dans les genres qui, par eux-mêmes, sont littéraires, mais qui reçoivent de lui un tour oratoire.

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