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929. (1923) Au service de la déesse

Il y avait le soleil ; il y avait, sous une housse, la lune. […] Tout le monde était sur les portes, on mettait son ombre au soleil… » Je ne crois pas que vous ayez lu tout cela d’une traite, Vous avez été d’abord ébaubi ; vous avez craint d’être inattentif. […] La rue est coupée en deux parties inégales par l’ombre et le soleil ; du côté étroit de l’ombre, les enfants, qui mangent pour la première fois des gâteaux, reviennent de Saint-Sulpice, où tous leurs saints depuis hier sont victorieux, à la main de leur grand-père, qui mange à nouveau des bonbons ; du côté du soleil, les animaux, chiens et chats, dorment et courent, vivent au large. […] L’auteur d’État civil a beau s’écrier : « Soleil d’aujourd’hui, je ne connais que toi ! » il sait que le même soleil se lève sur la continuité de tous les jours et que sa durée unit au présent le passé : il n’est aucun jour qui ne suive la série des jours ; et aucune âme n’est soudaine.

930. (1870) Portraits de femmes (6e éd.) « MADAME DE STAEL » pp. 81-164

De ces terrasses de Coppet, au bord du lac de Genève, sa plus fixe méditation était de comparer l’éclatant soleil et la paix de la nature avec les horreurs partout déchaînées de la main des hommes. […] Hugo en l’un des Soleils couchants de ses Feuilles d’Automne 39. […] Elle songea donc sérieusement à faire un plein usage de ses facultés, de ses talents, à ne pas s’abattre ; et, puisqu’il était temps et que le soleil s’inclinait à peine, son génie se résolut à marcher fièrement dans les années du milieu : « Relevons-nous enfin, s’écriait-elle en sa préface du livre tant cité, relevons-nous sous le poids de l’existence ; ne donnons pas à nos injustes ennemis et à nos amis ingrats le triomphe d’avoir abattu nos facultés intellectuelles. […] L’amour de la nature et des beaux-arts se déclara en elle sous ce soleil nouveau60. […] Elle mourut environnée pourtant de tous les noms choisis qu’on aime à marier au sien ; elle mourut à Paris74 en 1817, le 14 juillet, jour de liberté et de soleil, pleine de génie et de sentiment dans des organes minés avant l’âge, se faisant, l’avant-veille encore, traîner en fauteuil au jardin, et distribuant aux nobles êtres qu’elle allait quitter des fleurs de rose en souvenir et de saintes paroles.

931. (1866) Cours familier de littérature. XXII « CXXXIe entretien. Littérature russe. Ivan Tourgueneff » pp. 237-315

Ivan Tourgueneff I La littérature est comme le soleil : elle éclaire tour à tour l’horizon des peuples. […] Ces peuples fondent des capitales improvisées, comme Pétersbourg ; des étapes d’un moment dans des climats inhabitables, aux bords de la mer, pour surveiller de là des voisins plus avancés qu’eux-mêmes dans les arts de la navigation ; puis, lorsque le péril est passé, ils passent dans de meilleurs climats et bâtissent, comme en Crimée, aux bords d’autres mers, des capitales d’avenir, pour porter leurs yeux et attirer leurs cœurs vers des empires croulants, qui offrent à leur espoir des capitales définitives, où le soleil et l’ambition les invitent. […] Je passai beaucoup d’heures solitaires pendant l’ardeur du jour, étendu nonchalamment sur un canapé dans une chambre obscure, à attendre que le soleil baissât pour me permettre d’aller respirer la brise du soir dans les bois de Meudon. […] Le bateau arrivait en vue de Stettin, la rive étrangère se déroulait aux regards des passagers sous les rayons d’un beau soleil. […] D’un côté de l’horizon, à l’endroit où le soleil venait de se coucher, un coin du ciel était encore blanchi et empourpré par un dernier reflet de la lumière du jour ; de l’autre, il était déjà voilé par une ombre grisâtre.

932. (1926) La poésie pure. Éclaircissements pp. 9-166

Je suis le ténébreux, — le veuf, — l’inconsolé, le prince d’Aquitaine à la tour abolie, ma seule « étoile » est morte, et mon luth constellé porte le « soleil noir » de la mélancolie… la poésie populaire de tous les pays, et même du nôtre, aime le non-sens. […] Le vers, convenable, mais tout narratif de Stace, … solatur lacrymas : qualis berecynthia mater… s’empourpre, dès que notre Joachim s’en empare, de tous les feux du soleil couchant : telle que sur son char la bérécynthienne… attendons enfin que les philosophes de la poésie-raison nous expliquent, d’abord, pourquoi le vers de Malherbe, et les fruits passeront la promesse des fleurs est un des quatre ou cinq miracles de la poésie française, ensuite, comme il se fait qu’on ne puisse toucher à la moindre lettre de ce vers sans le dégrader tout entier. […] on ne doit pas présenter, écrit-il, comme dépouillé de tout sens un discours où sont entassés des mots aussi évocateurs que « ténébreux », « prince d’Aquitaine », « étoile », « luth constellé », « soleil noir », « mélancolie… » l’action exercée sur l’attitude mentale est seulement indirecte, tout comme dans tel vers de Mallarmé, par « angoisse », « minuit », « lampadophore… »… etc : c’est très juste. […] Et d’abord les articles très amusants, mais aussi très pénétrants, de l’étameur, dans le soleil d’oc. ce qu’a écrit le poète Jean Soulairol dans le cri de Béziers n’est pas moins remarquable. […] Alfred Lartigue estime que la physique peut aboutir à une métaphysique, à une « théorie définitive qui monterait comme un soleil à l’horizon, le jour où l’homme pourrait se hisser sur un bloc d’observations assez haut pour la voir ».

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