/ 1654
1050. (1864) Études sur Shakespeare

Que, sous le ciel brillant du Midi, dispensés de lutter contre une nature rigoureuse, invités, par un air doux et un beau soleil, à vivre sur les places publiques et sous les oliviers, chargeant les esclaves des plus pénibles travaux, étrangers à l’empire des habitudes domestiques, les Grecs se soient empressés autour de leurs rhapsodes, et plus tard, dans leurs théâtres ouverts, pour livrer leur imagination aux charmes des récits naïfs ou des pathétiques tableaux de la poésie ; qu’aujourd’hui même, sous leur atmosphère brûlante et dans leur vie paresseuse, les Arabes, accroupis autour d’un narrateur animé, passent leurs journées à le suivre dans les aventures où il les promène ; cela s’explique, cela se conçoit : là le ciel n’a point de frimas et la vie matérielle point d’efforts qui empêchent les hommes de s’abandonner ensemble à de tels plaisirs ; les institutions ne les en éloignent point ; tout les leur rend au contraire naturels et faciles ; tout provoque et les réunions nombreuses, et les fêtes fréquentes, et les longs loisirs. […] À peine le soleil naissant avait annoncé l’arrivée de ce jour d’allégresse que toute la jeune population répandue dans les bois, les prés, sur les rivages et les collines, courait, au son des instruments, faire sa moisson de fleurs ; elle revenait chargée d’aubépine, de verdure, en ornait les portes, les fenêtres des maisons, en couvrait le mai coupé dans la forêt, en couronnait les cornes des bœufs destinés à le traîner : « Lève-toi, dit Herrick à sa maîtresse, au matin du premier de mai, lève-toi et vois comme la rosée a couvert de paillettes l’herbe et les arbres ; depuis une heure, chaque fleur a pleuré et penche sa tête vers l’Orient. […] Il grandit et brilla sur son sol comme le soleil se levait et suivait sa carrière dans le ciel qui le couvrait. […] Leurs emplois, leurs plaisirs, leurs malices occuperont la scène, participeront à tous les incidents, enlaceront dans une même action et les destinées plaintives des quatre amants, et les jeux grotesques d’une troupe d’artisans ; et, après s’être envolés aux approches du soleil, quand la nuit enveloppera de nouveau la terre, ils reviendront reprendre possession du monde fantastique où nous a transportés cette amusante et brillante folie. […] Ainsi ému de ce qui nous émeut, Shakespeare obtient notre confiance ; nous nous abandonnons avec sécurité à cette âme toujours ouverte où nos sentiments ont déjà retenti, à cette imagination toujours prête où s’empreint l’éclat du soleil d’Italie et qu’obscurciront les sombres brouillards du Danemark.

1051. (1906) La rêverie esthétique. Essai sur la psychologie du poète

De là cet attrait particulier qu’ont pour le poète les spectacles de la nature qui par leur caractère étrange, indécis, mystérieux, font l’effet de choses imaginées plutôt que perçues : mirages, échos, reflets, vagues apparitions d’objets dans la brume, clairs de lune féeriques, bizarres édifices de nuées au soleil couchant, rumeurs confuses du vent qui passe sur la forêt. […] Ce joli mot de caravansérail, que traverse comme un éblouissement tout l’Orient féerique des Mille et une Nuits, avait dressé dans mon imagination des enfilades de galeries découpées en ogives, des cours mauresques plantées de palmiers, où la fraîcheur d’un mince filet d’eau s’égrenait en gouttes mélancoliques sur des carreaux de faïence émaillée ; tout autour, des voyageurs en babouches, étendus sur des nattes, fumaient leurs pipes à l’ombre des terrasses, et de cette halte montait sous le grand soleil des caravanes une odeur lourde de musc, de cuir brûlé, d’essence de rosé et de tabac doré… Les mots sont toujours plus poétiques que les choses. […] Tel est bien l’effet des romans, surtout lorsqu’il s’agit de ces récits merveilleux qui ont déjà par eux-mêmes l’allure du rêve : les Mille et une nuits, Cyrano de Bergerac aux pays du soleil, Gulliver à Lilliput, les Contes fantastiques d’Hoffmann, Andersen, E. […] Le soleil luisait haut dans le ciel calme et lisse Et dans ses cheveux blonds c’étaient des rayons d’or Si bien que nous suivions son pas plus calme encor Que le déroulement des vagues, ô délice ! […] L’abîme, où les soleils sont les égaux des mouches, Nous tient ; nous n’entendons que des sanglots farouches         Ou des rires moqueurs ; Vers la cible d’en haut qui dans l’azur s’élève, Nous lançons nos projets, nos vœux, l’espoir, le rêve,         Ces flèches de nos cœurs.

1052. (1888) Études sur le XIXe siècle

Ce dernier, esprit réfléchi, sérieux, qui aimait à faire le tour des questions, travaillait à compléter son instruction première en lisant de nombreux ouvrages d’histoire et même de science, Rossetti ne s’intéressait guère à l’histoire que parce qu’elle touche à la poésie, et dédaignait la science : « Que m’importe, disait-il, si c’est la terre qui tourne autour du soleil ou le soleil autour de la terre !  […] J’ajouterai qu’avec un effort d’esprit, on arrive à se placer au point de vue de l’artiste : ainsi, le Bouc expiatoire, paré d’ossements fantastiques, transportant les péchés du monde dans un endroit inhabité… Il s’avance lourdement sur une plage bordée de montagnes, que baignent les tons sanglants d’un soleil oriental, parmi de bizarres ornements jonchant le sable, et finit par produire une impression toute autre que celle d’un simple animal. […] Il arrive que les cristaux sont de la verroterie, que la mosaïque est de couleurs trop vives, mais le bon soleil se charge d’harmoniser les nuances, et la variété des objets nouveaux déconcerte la réflexion. […] Ses paysages favoris sont gais et s’étendent en plein soleil, à peine teintés quelquefois par ces vapeurs légères que dégagent dans les lointains les premières chaleurs du printemps, par ces sfumatures qui brodent leurs fines dentelles sur les rivages méditerranéens. […] Sans doute il n’en évite pas l’invincible et poignante mélancolie : « On éprouve, dit-il après l’avoir décrite, un sentiment désagréable de fatigue, un dégoût de tout, une envie inexprimable de disparaître comme un éclair de ce monde ennuyeux. » Mais c’est tout, il se garde bien de s’appesantir sur cette impression : il ouvre son parapluie et se croit en plein soleil.

1053. (1761) Querelles littéraires, ou Mémoires pour servir à l’histoire des révolutions de la république des lettres, depuis Homère jusqu’à nos jours. Tome III pp. -

Scheiner se disoit auteur du systême des taches du soleil. […] Copernic place le soleil au centre du monde, & le fait immobile : la terre, au contraire, est emportée par un mouvement annuel autour du soleil. […] Elles regardoient principalement ce texte : Arrête-toi, soleil. […] Il y eut délibération sur délibération : le tribunal arrêta, l’an 1611, qu’on feroit retracter Galilée, qu’on l’obligeroit de laisser la terre dans un point fixe, & de rétablir le soleil dans son mouvement annuel. […] Ils furent chacun autant de soleils dont les rayons immenses blessoient continuellement la vue des cordeliers.

/ 1654