Ils ne se doutent pas, ces gens, qu’il y a cent cinquante ans, au moment où Marivaux publiait le roman de Marianne, on lui disait que les aventures de la noblesse pouvaient seules intéresser le public, et Marivaux était obligé d’écrire une préface, où il proclamait l’intérêt qu’il trouvait, dans ce que l’opinion publique dénommait l’ignoble des aventures bourgeoises, et affirmait que les gens qui étaient un peu philosophes et non dupes des distinctions sociales ne seraient pas fâchés d’apprendre ce qu’était la femme, chez une marchande de toile.
Dans l’art pur et dans la connaissance des âmes et des mœurs, — qui fut une des occupations du xviie siècle, — on peut arriver à quelque chose de solide et de définitif : dans la philosophie ou la critique ou les sciences politiques et sociales, je ne sais pas. […] La vie des neuf dixièmes des chrétiens, au xviie siècle et dans tous les temps, n’a jamais été ni pu être qu’un compromis — généralement dénoncé et expié à l’heure de la mort — entre la nature, les plaisirs, les commodités ou les exigences de la vie sociale — et la stricte doctrine de l’Église, — et, si vous voulez, entre le paganisme et le christianisme.
Dans la catégorie sociale à laquelle ils appartiennent le Juif peut remonter de génération en génération et il peut remonter pendant des siècles : il trouvera toujours quelqu’un qui sait lire. […] Quoi qu’il en soit, et l’introduction de ce battement, ou plutôt de la considération de ce battement, est d’une conséquence presque infinie, dans la catégorie sociale à laquelle nous nous référons, et qui est peut-être la seule importante, le catholique, ou plutôt commençons par l’autre bout, le Juif est un homme qui lit depuis toujours, le protestant est un homme qui lit depuis Calvin, le catholique est un homme qui lit depuis Ferry. […] Quand certains points de grandeur et de valeur, quand certains points de dignité, (sociale, morale, économique, civique, psychologique, métaphysique), quand certains points de présence, de souples sont devenus raides, de présents sont devenus passés, quand ils sont devenus morts, quand ils sont devenus points et objets de mesure, l’avarice et la vénalité peuvent conjointement commencer.
Esprit général de la critique littéraire Ainsi, une littérature, un poème, quelquefois même un morceau faisant tache, comme ce passage d’une comédie de Plaute où Sosie embouche la trompette héroïque, sont l’expression vive et fidèle d’une société ; une œuvre d’art plaît à un peuple, comme l’Iphigénie de Racine, lorsqu’elle exprime des sentiments nationaux, quelle que soit l’antiquité du vêtement dont elle s’affuble ; une œuvre d’art plaît à un peuple, comme Le Médecin de son honneur de Caldéron, lorsqu’elle exprime des passions nationales, quelque absurdes que ces passions puissent paraître au jugement faible des étrangers ; mais une œuvre d’art qui n’exprime pas un état social actuel et présent, ne plaît qu’à une élite de lettrés, comme l’Iphigénie de Goethe, ou ne plaît qu’à l’auteur et à sa famille, comme l’Alarcos de Frédéric Schlegel ; et il n’est point certain que l’Iphigénie allemande eût fait plaisir aux Grecs, ni l’Alarcos aux Espagnols, parce que l’artiste ne peut pas s’isoler, s’abstraire de la race d’où il sort, du milieu où il vit, du moment où il fait son poème, au point de devenir vraiment grec ou vraiment espagnol, quand il est moderne et allemand.