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704. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre cinquième. Principales idées-forces, leur genèse et leur influence — Chapitre premier. L’idée force du monde extérieur »

Avec le raisonnement des idéalistes, il faudrait soutenir que je ne puis concevoir un temps où je n’existais pas, par exemple le siècle de César, puisque ce temps où ma conscience n’existait pas est cependant dans ma conscience à l’état d’idée et conçu par elle. Pourtant, il est bien certain que je dépasse ma conscience quand je conçois le siècle de César, et encore bien mieux quand je conçois le trentième siècle, où je n’existerai plus.

705. (1818) Essai sur les institutions sociales « Chapitre VIII. Suite du chapitre précédent. De la parole traditionnelle. De la parole écrite. De la lettre. Magistrature de la pensée dans ces trois âges de l’esprit humain » pp. 179-193

C’était plus que la voix des siècles, puisque c’était la voix de Dieu même. […] On fixe assez généralement l’ère des lois écrites, chez les Grecs, à Zaleucus, postérieur, comme on sait, de plusieurs siècles à Minos. […] Au reste, on est trop disposé, dans ce siècle, à se tromper sur l’essence de la magistrature de la pensée, comme sur beaucoup d’autres choses ; car l’absence et le discrédit des traditions sont, en ce moment, la cause d’un grand nombre de faux jugements.

706. (1906) Les œuvres et les hommes. À côté de la grande histoire. XXI. « La Société française pendant la Révolution »

Illusion d’esprits comme il en pousse encore, et qui ne doutent de rien, dans un siècle qui doute de tout. […] Ce résultat exquis et charmant de tant de siècles de christianisme et de monarchie, la société française, a toujours eu de bien autres proportions que les antichambres de Marly en 1662, ou, en 1789, les salons politiques et bourgeois qu’Edmond et Jules de Goncourt nous font traverser… Malheureusement, ces proportions, qu’il fallait chercher, voir et décrire, leur lorgnon parisien, transparent comme le cataplasme de la pauvre mule de Bartholo, n’a pas même l’air de s’en douter. […] Du salon, ils sont descendus dans la rue ; ils y ont brassé le sang et la fange ; ils ont essayé de retourner avec leurs ongles, trop faibles pour cela et trop roses, cette société, pourrie sur ses racines depuis deux siècles, mais qui, en 1789, allait s’y affaisser et complètement s’y dissoudre.

707. (1909) Les œuvres et les hommes. Critiques diverses. XXVI. « Quitard »

Or, Rivarol a dit, avec plus de hardiesse que Quitard qui le cite : « Les proverbes sont les fruits de l’expérience des peuples et comme le bon sens de tous les siècles réduit en formules. » Cela est incroyable, mais malheureusement textuel. […] Il ne serait plus enfin cet aristocrate en toutes choses, qui voulait être comte, malgré sa naissance, dans un temps où un tel titre n’allait bientôt plus rapporter que les privilèges de la prison et de l’échafaud, et on serait terriblement en droit d’accuser de pitoyable inconséquence l’homme qui, croyant au bon sens des siècles, accorda si peu au bon sens du sien. Heureusement pour Rivarol, le mot que cite Quitard ne prouve qu’une chose, assez triste du reste : c’est que le talent le plus héroïquement et le plus fièrement spirituel put se laisser enfiler par une idée vulgaire, comme un grand homme par un goujat ; mais il ne détruit nullement cette certitude : que ce qu’on appelle le bon sens des peuples et des siècles, c’est l’intelligence des grands hommes — ignorés ou connus — qui ont fait tradition et rencontré leur écho.

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