Il nous plaît d’abord par l’image parfaite qu’il nous suggère, à nous les agités, d’une vie recluse et silencieuse, de la vie dont nous rêvons quelquefois, d’une pure et blanche retraite au milieu de l’enfer terrestre, plus douce à concevoir en plein siècle des Jacqueries et de la guerre de Cent ans. […] Il a, je crois, prévu l’homme de lettres du siècle suivant, ouvrier des idées généreuses, homme vraiment public. […] C’est peut-être le cerveau de ce siècle qui a emmagasiné le plus de faits et qui les a ordonnés avec le plus de rigueur. […] La beauté même du siècle de Périclès, si Taine avait pu dépouiller les archives athéniennes, n’eût pas résisté à cette opération. […] Il a écrit le Lys et l’Enfant des armures et ciselé d’irréprochables petites « légendes des siècles ».
Et graduellement, à mesure que nous avançons vers un état social plus élevé, les hommes, en plantant des arbres qui ne porteront pas de fruits pour leur génération ; en donnant une éducation soignée à leurs enfants ; en bâtissant des maisons qui dureront des siècles ; en assurant leur vie ; en luttant pour une richesse ou une renommée future, montrent que chez eux les antécédents et conséquents internes sont habituellement ajustés à des antécédents et conséquents externes placés à de très lointains intervalles. […] Et c’est ainsi que l’Européen en vient à avoir quelques pouces cubes de cervelle de plus que le Papou ; que des sauvages incapables de dépasser, en comptant ; le nombre de leurs doigts et qui parlent une langue informe, ont pour successeurs, dans la suite des siècles, des Newton et des Shakespeare147. […] Dans la description de ses songes causés par l’opium, « alors que la mer lui apparaissait pavée d’innombrables figures, suppliantes, courroucées, désespérées, surgissant par myriades, par générations, par siècles, — alors qu’une architecture imaginaire se présentait à lui avec une vivacité et un éclat insupportable, ayant la faculté de grandir et de reproduire à l’infini », alors donc que les impressions mentales étaient extrêmement nombreuses et très distinctes, de Quincey nous dit qu’il lui a quelquefois semblé « avoir vécu 70 ou 100 ans dans une seule nuit » ; bien plus, « qu’il a eu alors des sentiments qui lui paraissaient avoir duré mille ans, ou plutôt un laps de temps qui excédait les limites de toute expérience humaine. » N’arrive-t-il pas, pendant un assoupissement de quelques minutes, de faire des rêves qui paraissent durer un temps considérable ? […] Lorsqu’un penseur réorganise la méthode et les connaissances scientifiques de son siècle, et que sa réorganisation est acceptée par ses successeurs, il est juste de dire que ces successeurs sont des disciples. Mais quand les successeurs acceptent la méthode et les connaissances du siècle, moins sa réorganisation, ils ne sont certainement pas ses disciples.
Ceux-là n’ont pas à se faire lentement, oreille par oreille, leur auditoire étroit et difficile, à conquérir, cœur par cœur, leur pénible renommée, à subir la critique et le dénigrement de leur siècle, pour jouir de cette renommée pendant quelques heures du soir de leur vie, et pour arriver bien vite, avec un nom déjà posthume, avant leur mort, à l’oubli définitif d’un froid tombeau. […] Les siècles et l’univers lettrés l’auraient adopté, mais le jour et la rue ne l’auraient jamais connu. […] Les typographes sont par leur art une sorte de noviciat de la littérature ; ils sont par leur métier les premiers confidents de l’idée : on pourrait les appeler les secrétaires intimes de leur siècle. […] On voit aussi que, si Béranger avait persévéré dans ce genre sérieux et mélancolique de poésie, qui était plus qu’on ne le croit la tendance de son âme, il aurait égalé les poètes les plus sensibles et les plus mélodieux de son siècle. C’est à peu près à la même époque qu’il composa une épître sur le rétablissement du culte public en France, et une méditation funèbre sur les révolutions des empires, dans laquelle il parle ainsi des Bourbons immolés ou proscrits : Des hommes étaient nés pour le trône du monde ; Huit siècles l’assuraient à leur race féconde.
Il est normal qu’il soit le maître de son siècle, étant ce siècle lui-même. […] Il tient ce siècle ainsi que les empereurs des peintures portent le globe universel. […] Chose singulière, à mesure que sa vie se prolongeait dans ce siècle, on eût dit que son esprit s’en retournait vers le siècle précédent. […] Pour guérir un siècle vieilli Ils cherchent la pharmacopée. […] Le vrai est le but de ce siècle, et sera le prix de ses efforts.