L’éloquence, comme on sait, n’est pas seulement dans l’orateur qui parle ; elle est aussi dans ceux qui écoutent. […] Vous avez vu, en effet, soutenir le droit par les mêmes arguments que le fait, le juste par les mêmes arguments que l’utile ; d’un autre côté, le fait et l’utile avaient des champions qui puisaient leurs moyens de défense dans les doctrines sur lesquelles reposent le droit et le juste ; la légitimité était confondue avec l’hérédité, avec l’hypothèse de l’élection continue ou du pacte primitif : il en résultait une grande confusion de langage ; mais tout, dans ce combat inégal, tournait au profit des idées nouvelles, parce que ce sont elles seulement qui sont douées de la force expansive.
Il veut au contraire qu’on tienne compte et qu’on tienne compte seulement de leurs différences individuelles. […] Reconnaître aux individus mêmes droits n’est pas demander qu’à leurs actions, pour inégales qu’elles soient, les mêmes sanctions soient réservées, mais seulement que ces sanctions soient départies à ces actions inégales suivant les mêmes poids et les mêmes mesures.
Ce sont ces années actives et fécondes de la première maturité qu’il regrettait plus tard de n’avoir pu appliquer selon qu’il s’en estimait capable : repassant sa vie dans sa vieillesse et faisant son examen de conscience, il croyait qu’il y avait moins encore de sa faute dans cette médiocre fortune que de celle de son étoile : Si on me demande ce que c’est qu’étoile, disait-il, je répondrai que je ne le sais pas ; je sais seulement que c’est quelque chose de réel qu’on ne connaît point ; et je suis persuadé que ceux qui prétendent que notre bonne ou notre mauvaise fortune dépend de notre conduite ont grand tort ; elle y peut beaucoup, mais l’étoile y peut encore plus. […] Redemandant cette même faveur d’être aide de camp du roi pour la campagne qui suivit celle de Namur, et qui fut la dernière que fit Louis XIV, Lassay savait bien qu’il allait au cœur de Mme de Maintenon lorsqu’il insistait sur la prudence et qu’il disait bien plus en courtisan qu’en soldat : Si je ne regardais que mon intérêt particulier, par toutes sortes de raisons je souhaiterais ardemment qu’il (le roi) allât commander ses armées, mais je crois qu’il n’y a pas de bon Français qui doive souhaiter qu’il y aille : quand je songe à Namur, je tremble encore ; sans compter les autres périls, le roi passait tous les jours au milieu des bois qui pouvaient être pleins de petits partis ennemis ; on n’oserait seulement porter sa pensée à ce qui pouvait arriver : que serait devenu l’État, et que serions-nous devenus ? […] Le jour, je me promène sous des hêtres pareils à ceux que Saint-Amant dépeint dans sa Solitude ; et, depuis six heures du soir que la nuit vient, jusqu’à minuit qui est l’heure où je me couche, je suis tout seul dans une grosse tour, à plus de deux cents pas d’aucune créature vivante : je crois que vous aurez peur des esprits en lisant seulement cette peinture de la vie que je mène… Les circonstances qui précédèrent et suivirent ce mariage furent assez singulières, et achevèrent de donner à Lassay, de lui confirmer aux yeux du monde le caractère de bizarrerie et d’excentricité qui tenait plus aux personnes auxquelles il s’était lié, qu’à lui-même. […] Selon Suard, M. de Lassay n’a dit ce mot énergique qu’à l’époque du ministère du duc de Bourbon et des trafics publics de Mme de Prie, et c’est à ce moment de la société seulement qu’il entendait l’appliquer. […] Il semble y rêver pour la France dans un avenir idéal le gouvernement et le régime anglais, moins les passions et la corruption ; il se prononce contre les conquêtes et n’admet la guerre que dans les cas de nécessité ; il a, sur la milice provinciale, sur la liberté individuelle, sur le droit de paix et de guerre déféré aux assemblées, sur un ordre de chevalerie accordé au mérite seulement, et à la fois militaire et civil, sur l’unité du Code et celle des poids et mesures, sur le divorce, enfin sur toutes les branches de législation ou de police, toutes sortes de vues et d’aperçus qui, venus plus tard, seraient des hardiesses, et qui n’étaient encore alors que ce qu’on appelait les rêves d’un citoyen éclairé ; il est évident que M. de Lassay, s’il avait pu assister soixante ans plus tard à l’ouverture de l’Assemblée constituante, aurait été, au moins dans les premiers jours, de la minorité de la noblesse.
Je n’ai point seulement pensé qu’il lui fût possible d’en avoir suffisamment pour celui de Landau. […] Il y faisait voir non pas de l’égalité seulement et une activité paisible, mais presque un jeu continuel, si on ose s’exprimer ainsi. » Bien que cela ait été dit dans un discours académique, cela est vrai. […] Tout cela fut réparé ; les ennemis perdirent plus de quarante drapeaux et étendards, et l’armée du roi n’en laissa pas un des siens ; seulement, le temps qu’il fallut pour remettre quelque ordre dans l’infanterie sauva celle des impériaux et nuisit à la poursuite. […] On saisit bien la nuance et le degré du tort où Villars put être à l’égard de M. de Magnac ; il le nomme, il lui rend aussi, justice : mais il ne va pas sur son compte au-devant de l’entière et éclatante vérité : seulement, si on la lui demande, il la dira. […] Il sentait à son tour le poids de la responsabilité : « Ce que je crains le moins, ce sont les ennemis, écrivait-il ; et dès que j’aurai passé le Rhin, mon salut consiste à les chercher partout, et je désire seulement qu’ils ne prennent pas le parti d’éviter le combat. » Louis XIV fut mécontent de ce raisonnement prolongé et de cette persistance de Villars dans son propre sens : Vous m’aviez bien mandé, lui écrivit-il (19 mars 1703), le besoin que vos troupes avaient de repos, et la nécessité de leur donner un mois ou cinq semaines pour se rétablir, faire joindre leurs recrues, et les réparations dont elles avaient besoin pour être en état d’agir plus utilement ; mais vous ne m’aviez pas donné lieu de croire que vous les feriez repasser dans l’Alsace ; je devais même être persuadé que vous les feriez cantonner de l’autre côté du Rhin.