» Elle vante ses taillis et ses futaies : « C’est ce bois qui fait mes délices, dit-elle, il est d’une beauté surprenante ; j’y suis souvent seule avec ma canne et ma Louison : il ne m’en faut pas davantage. » Ah ! […] Je pourrais prendre l’un après l’autre les différents rôles classiques du provincial : le petit marchand des villes, le gros marchand enrichi, le châtelain ignorant et vaniteux, le châtelain pauvre, le châtelain grand seigneur, les femmes surtout qui se ressemblent presque toutes dans les romans dits provinciaux, mal habillées, sentimentales, courtes d’intelligence, de dévotion étroite, intimidées et hypnotisées à la seule vue d’une Parisienne ; je pourrais prendre ces personnages et montrer que, sauf de bien légères nuances, ils n’ont pas changé en passant de livre en livre, qu’ils sont au fond les mêmes et comme immuables dans la littérature depuis trois siècles. […] Ils n’avaient pas cet amour fraternel et ce respect de la vie humaine qui peuvent seuls édifier une œuvre de justice, soit en littérature, soit en politique. […] Et si, par exemple, vous allez au mois d’août dans les marais salants de la Loire-Inférieure, vous assisterez à un mariage, un seul, en grand costume local, à un vrai mariage de paludier et de paludière, mais qu’on peut dire toujours le même, car les costumes, en nombre limité, jamais renouvelés, servent à toute la paroisse, se prêtent entre voisins et voisines, entre parents ou camarades, et ne sortent des coffres qu’un seul jour d’été, sous les yeux agrandis des badauds qui payent les frais de la noce.
La pièce de Parny (trente-deux vers en tout) est pure, tendre, égale, d’un seul souffle, d’une seule veine. […] Il n’a nulle part recours aux accessoires, à la fantaisie, aux descriptions ; tout sort et découle d’un seul et même sentiment. […] Une mère tendre, un frère délicat, s’ils avaient à choisir entre les trois pièces, sur la tombe d’une morte chérie, pourraient-ils hésiter un seul instant ?
Il est « le seul rejeton » de la famille. […] Le déterminisme rigoureux des visions du Haschisch ne pouvait, en effet, sourire à cet amoureux de la volonté libre, de la volonté seule maîtresse, pour lui, de l’inspiration. […] Catulle Mendès fut plus indulgent ; il a conservé de ses expériences d’antan d’ingénieux souvenirs, comme celui qu’il a bien voulu lui-même nous détailler et qui indique très nettement le désir d’analyse poursuivant l’artiste : alors que, de concert avec Villiers de l’Isle-Adam, il s’essayait aux « Paradis artificiels », une vision obsédante, identique à elle-même, le hantait tous les soirs : dans une forêt dense et pourtant lumineuse, des arbres sans feuillage dressaient d’un seul jet leurs troncs cylindriques luisant comme de l’or, le long desquels montaient et descendaient, alternativement, de grands singes couleur d’émeraude. […] Nous trouvons dans sa très consolante Introduction à la médecine de l’esprit, la même remarque appliquée à Victor Hugo : « Dans sa longue existence où il a vu périr tant d’êtres qui le tenaient de près, comptez combien sont rares les minutes d’accablement moral et comme il versa peu de larmes personnelles pour lui tout seul.
« Les interruptions, les repos, les sections, dit excellemment Buffon, ne devraient être d’usage que quand on traite des sujets différents, ou lorsque, ayant à parler de choses grandes, épineuses et disparates, la marche du génie se trouve interrompue par la multiplicité des obstacles, et contrainte par la nécessité des circonstances : autrement, le grand nombre de divisions, loin de rendre un ouvrage plus solide, en détruit l’assemblage ; le livre paraît plus clair aux yeux, mais le dessein de l’auteur demeure obscur ; il ne peut faire impression sur l’esprit du lecteur, il ne peut même se faire sentir que par la continuité du fil, par la dépendance harmonique des idées, par un développement successif, une gradation soutenue, un mouvement uniforme, que toute interruption détruit et fait languir. » La constitution essentielle du sujet marque à l’écrivain les reposoirs naturels, où il peut reprendre haleine, et son lecteur avec lui ; elle délimite les portions où le regard peut successivement s’arrêter, quand le champ total est trop vaste et ne se laisse pas embrasser d’une seule vue. […] Allez au contraire hardiment : pensez-y aussi longtemps qu’il faudra, mais après déclarez-vous : ayez une manière de voir, une seule, et écartez tout ce qui ne s’y conforme pas. […] C’est pour cela qu’on a dit que les beaux vers étaient la marque des mauvaises tragédies : non pas que les vers des bonnes tragédies ne soient beaux aussi, mais ce sont surtout des vers de situation, des traits de caractère, au lieu que les mauvaises tragédies ont seules ces beaux vers, qui ne sont que de beaux vers, qui ne jaillissent ni de la situation ni des caractères, qui, saisissant l’esprit et la mémoire du spectateur, le divertissent de la pièce avec laquelle ils n’ont pas de rapport nécessaire. […] Et il faut choisir entre toutes ces possibilités : il faut couper la communication entre une idée et toutes les autres sauf deux, dont l’une la précédera et l’autre la suivra ; il faut lui fermer toutes les places qu’elle peut occuper, sauf une seule.