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1692. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Histoire des cabinets de l’Europe pendant le Consulat et l’Empire, par M. Armand Lefebvre. »

Quand vous lui écrirez, dites-lui que je ne me lasse pas d’admirer l’adresse avec laquelle il a su profiter d’un temps où, Frédéric et Catherine ayant disparu du théâtre des affaires du monde, il n’y a plus sur tous les trônes de l’Europe que des imbéciles. » Mais la veille ou le lendemain le vent tourne, le langage change, le naturel reparaît ; et vers ce même temps, apprenant le meurtre du duc d’Enghien, elle disait avec la même liberté de propos : « Ce pauvre diable était le seul des princes français qui eût de l’élévation et du courage. […] Ce fut un soulagement pour lui d’être soustrait à ce simulacre de rôle et de quitter un théâtre où la diplomatie avait épuisé son jeu et où la force militaire, seule, était à l’œuvre. […] Sa maison seule, qui est fort belle, ses escaliers ornés de statues d’un goût parfait, la beauté de ses tableaux, la profusion des dessins qu’on trouve jusque dans ses antichambres, et les raretés de toute espèce et de tous les siècles qu’on rencontre à chaque pas, auraient suffi pour m’apprendre que j’entrais chez le prince de la littérature allemande. […] Son Napoléon, tel qu’il l’avait conçu et qu’il l’avait vérifié par une longue étude, était d’un seul jet, et le Consulat, l’Empire, envisagés par lui dans leur continuité, offraient moins de déviations et d’écarts qu’on n’en suppose d’ordinaire. […] Mais, on le conçoit, et même chez un esprit que les succès littéraires ne préoccupaient point, même pour le seul penseur, il y eut, il dut y avoir des tristesses intimes et profondes, de grandes défaillances morales, de voir ainsi l’œuvre de sa vie compromise et découronnée, de se sentir arriver au public tout haché et morcelé, lui qui précisément avait la conception une et entière ; d’assister au développement et au plein succès d’une autre vue que la sienne, et que naturellement il estimait moins exacte et moins vraie, sur cette grande époque et sur l’homme étonnant qui la personnifie.

1693. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Les cinq derniers mois de la vie de Racine. (suite et fin.) »

A part la résurrection d’un mort, d’un Lazare, miracle réservé au seul Jésus en personne, je ne crois pas qu’il y eût une seule guérison surnaturelle et miraculeuse qu’il repoussât, si elle était faite au nom du Christ et par l’intercession d’un saint, ce saint fût-il un des hommes du jour. […] Racine qui le déchargeait et se chargeait de tout pour lui. « Ce n’est plus cela, ajouta le roi : il faut que vous soyez seul chargé de tout désormais. […] Despréaux a tous les papiers. » En accordant M. de Valincour comme historiographe adjoint, le roi eut donc bien soin de marquer à Despréaux qu’il entendait que lui seul eût « la plume et le style. » La fonction du nouveau collègue devait se borner à ramasser des mémoires ; on ne voit pas qu’il y ait été bien diligent, à moins que les papiers n’aient été détruits dans l’incendie qui dévora sa bibliothèque. […] Il ressort surabondamment de tous ces témoignages qu’il n’y avait plus rien du poëte, presque plus rien de l’homme de lettres dans Racine mourant : le chrétien seul, et le chrétien selon Port-Royal, survivait et chassait toute autre pensée.

1694. (1862) Portraits littéraires. Tome I (nouv. éd.) « Jean-Baptiste Rousseau »

En supposant cette conversion sincère, on s’étonne que Rousseau n’ait pas plus tiré parti pour sa poésie de cette nature de sentiments ; c’était peut-être en effet la seule corde lyrique qui fût capable de vibrer en ces temps-là. […] Là-dessus Rousseau lui répondit : « Il est vrai, monsieur, et vous l’avez bien remarqué, que j’ai eu en vue le passage de Lucrèce, quò magis in dubiis, etc., dans la strophe que vous me citez de mon Ode à la Fortune ; et je vous avoue, puisque vous approuvez la manière dont je me suis approprié la pensée de cet ancien, que je m’en sais meilleur gré que si j’en étois l’auteur, par la raison que c’est l’expression seule qui fait le poëte, et non la pensée, qui appartient au philosophe et à l’orateur, comme à lui. » L’aveu est formel ; on conçoit maintenant que Saurin ait dit qu’il ne regardait Rousseau que comme le premier entre les plagiaires. […] Cazotte seul, par son esprit, rappela un peu la grâce frivole d’Hamilton ; mais on n’était pas moins éloigné alors de l’Arioste, de Rabelais et de Jean Goujon, que de Michel-Ange. […] Le style de Rousseau, au contraire, ne se tient nullement et ne forme pas une seule et même trame. […] Si nous avions trouvé le nom de Jean-Baptiste sommeillant dans un demi-jour paisible, nous nous serions gardé d’y porter si rudement la main ; ses malheurs seuls nous eussent désarmé tout d’abord, et nous l’eussions laissé sans trouble à son rang, non loin de Piron, de Gresset et de tant d’autres, qui certes le valaient bien.

1695. (1902) L’observation médicale chez les écrivains naturalistes « Chapitre II »

… » 11 juin : « Ce matin, il lui a été impossible de se rappeler un seul titre de ses romans. […] Il est sensible à un entremets, il est heureux d’un vêtement neuf. » 18 juin : Attaque épileptiforme : « Avant-hier, jeudi, il me lisait encore les Mémoires d’outre-tombe, car c’était le seul intérêt et la seule distraction du pauvre enfant. […] Mais l’observateur, en lui, l’emporta ; il alla jusqu’aux données secondes de son héros, jusqu’à cet Hamlet inquiet, torturé de l’idée fixe, mais impuissant, irrésolu, le seul qui nous poigne aujourd’hui ; finalement, le personnage total, dont la maquette primitive de simulateur aurait pu rester artificielle et fausse s’il n’était resté que simulateur, demeure cohérent et véridique. […] À Bayreuth, rien de tel : le Dieu conduit sans la fixer Brünhild endormie déjà de la seule volonté divine.

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