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400. (1757) Réflexions sur le goût

Quelque harmonieuse que soit sa prose, l’harmonie poétique était sans charmes pour lui, soit qu’en effet la sensibilité de son oreille fut bornée à l’harmonie de la prose, soit qu’un talent naturel lui fit produire de la prose harmonieuse sans qu’il s’en aperçût, comme son imagination le servait sans qu’il s’en doutât, ou comme un instrument rend des accords sans le savoir. […] C’est sans doute sur les ouvrages qui ont réussi en chaque genre, que les règles doivent être faites ; mais ce n’est point d’après le résultat général du plaisir que ces ouvrages nous ont donné : c’est d’après une discussion réfléchie, qui nous fasse discerner les endroits dont nous avons été vraiment affectés, d’avec ceux qui n’étaient destinés qu’à servir d’ombre ou de repos, d’avec ceux même où l’auteur s’est négligé sans le vouloir. […] C’est à la philosophie à nous délivrer de ces liens ; mais elle ne saurait mettre trop de choix dans les armes dont elle se sert pour les briser.

401. (1878) Les œuvres et les hommes. Les bas-bleus. V. « Chapitre X. Mme A. Craven »

… Pourquoi avoir échangé cette plume de tourterelle en deuil, qui ne devait plus jamais servir, après avoir tracé les choses délicieuses et déchirantes de ce Récit d’une sœur, contre la plume d’oie d’un bas-bleu ou d’une rosière d’académie ? […] C’est un livre qui rappelle les romans qu’on écrivait il y a soixante ans, et auxquels le terre n’est pas légère, car elle pèse assez sur eux pour qu’ils n’en sortent pas, et qu’ils soient parfaitement oubliés… Afin de ne pas imiter Mme Sand, l’auteur d’Indiana et de Valentine, ces décrépites à la vieillesse affreuse, et qui aura prochainement le même sert, Mme Craven a sauté par-dessus jusqu’à Mme de Montolieu. […] Le verre funèbre, plein de délices et d’angoisses, dans lequel Mme Craven a bu à la mémoire des siens, ne devait plus servir à personne.

402. (1887) Les œuvres et les hommes. Les philosophes et les écrivains religieux (deuxième série). IX « MM. Delondre et Caro. Feuchtersleben et ses critiques. — L’Hygiène de l’âme » pp. 329-343

Malheureusement, le petit baron de Feuchtersleben, si cher, pour le moment, aux professeurs de philosophie discrète, était, de fait, un esprit trop débile, malgré ses hygiènes et ses médications, pour lever la grande mécanique du système de Hégel et s’en servir avec ses petites mains de pygmée. […] Or, puisqu’il se servait pour une fois de la religion, pourquoi ne s’en servait-il pas pour toutes ?

403. (1908) Les œuvres et les hommes XXIV. Voyageurs et romanciers « Ernest Feydeau »

Il a fait certainement du roman-feuilleton selon les exigences de l’imagination contemporaine et des débitants de publicité qui la servent. […] tout cela peut être exact, mais si, au lieu d’avoir cet unique souci de l’exactitude, l’auteur avait su se servir des notions de cette dissertation pour en tirer des effets de pittoresque ou de drame, il aurait fait de l’art intéressant et non pas une ennuyeuse nomenclature. […] Madame Sand, qui faisait un livre, a traité ce sujet en se plaçant en plein centre d’âmes et de drame tète à tête, et, quoique sa main de femme ait un peu tremblé sur le scalpel et ne l’ait pas enfoncé aussi avant qu’il le fallait, elle en a mis pourtant la pointe à la place juste, tandis que Feydeau, venu après elle et faisant un feuilleton, a enroulé autour du Leone Leoni de madame Sand, dissous et délayé dans une boue plus liquide et plus infecte que la boue qui avait servi la première fois à la confection de ce type, un tas d’événements en arabesques qui sont des prétextes à feuilleton, mais qui ne font rien, absolument rien au sujet.

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