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386. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Tallemant et Bussy ou le médisant bourgeois et le médisant de qualité » pp. 172-188

Maintenant, tout cela dit, et les torts de trahison et d’indiscrétion étant dès longtemps épuisés, on sait gré involontairement à Bussy (à cette distance) de nous montrer en action tout ce beau monde, nobles gentilshommes et grandes dames, de nous les produire dans un naturel et une originalité de désordre qui fait réfléchir sur le degré de civilisation et d’honnêteté aux différents âges, et qui peut servir à remettre à la raison l’enthousiasme des historiens à tête montée et des faiseurs d’oraisons funèbres. […] Pour s’être donné le malin plaisir de faire un livre de Régence et de Directoire, qui est bien de la date où le surintendant Fouquet faisait collection de ses billets doux, et dressait une liste de ses bonnes fortunes, il manque le grand siècle, les guerres de Flandre, celle de Franche-Comté qui vient passer presque sous ses fenêtres ; tous ses compagnons d’armes y seront : « Il vient de passer dix mille hommes à ma porte (à la porte de son château de Bussy) : il n’y a pas eu un officier tant soit peu hors du commun qui ne me soit venu voir ; bien des gens de la Cour ont couché céans. » Vite il écrit au roi pour demander à servir cette campagne, et le roi impassible répond : « Qu’il prenne patience ! […] Jamais homme n’a tant servi à me guérir de l’humeur de disputer. […] Sa femme lui sert furieusement dans la province ; sans elle la noblesse ne le visiterait guère : il se lève là à onze heures comme ici, et s’enferme quelquefois pour lire, n’aime point la chasse et n’a rien de populaire.

387. (1870) Causeries du lundi. Tome XV (3e éd.) « Histoire de la littérature française à l’étranger pendant le xviiie  siècle, par M. A. Sayous » pp. 130-145

Ce gentilhomme bernois, qui a dû vivre assez longtemps en Angleterre, qui a servi en France, écrit un français net et ferme, vif et dégagé, comme le fera plus tard son compatriote Bonstetten. […] Il semble souvent employer son bon sens et son esprit séparément, et l’un au défaut de l’autre, plutôt que de se servir de l’un et de l’autre conjointement, pour mettre dans leur jour les sentiments du cœur qui font le poète. […] Mais les femmes ont de quoi se consoler, en ce que les hommes font la même chose entre eux et se traitent en femmes les uns les autres : ils font entrer des louanges ou, pour me servir de leur terme, des choses obligeantes dans tout ce qu’ils se disent. […] Chacun d’eux, lorsqu’il est reçu dans ce corps, prononce un discours comme pour montrer de nouveau et de vive voix qu’il est digne du choix qu’on a fait en sa personne, et ce discours qui servira de modèle à d’autres, et qui montre sur quoi principalement un orateur a bonne grâce de s’exercer, doit contenir des éloges, des éloges donnés aux vivants et aux morts.

388. (1870) Nouveaux lundis. Tome XII « Préface »

Sainte-Beuve au Temps incompréhensible, inexplicable (pour me servir des expressions les plus douces) de la part d’un écrivain dont la plume devait être et rester avant tout inféodée (c’est presque le mot qui a été employé) à la littérature officielle de l’Empire. — M.  […] C’est ainsi que tout chef d’État qui n’est pas méfiant, vigilant, toujours sur le dos des gens, est servi ! […] Ce fut l’épreuve même du Moniteur qui servit de copie aux compositeurs du Temps. […] Sainte-Beuve, personnages en vue et des plus respectables, des esprits d’élite en effet (si c’est là ce qui a pu servir à autoriser la satire et la calomnie de s’être attachées à leur nom dès le lendemain), aimaient à se retrouver quelquefois chez lui à dîner : c’était comme un terre-à-terre à une extrémité de Paris, quasiment à la barrière, où le milieu d’un quartier populaire et sain influe, malgré soi, jusque dans les habitations bourgeoises ; on s’y sentait bien réellement éloigné de toute contrainte gênante et de toute étiquette cérémonieuse.

389. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [I] »

« Il était venu, comme l’a remarqué Jomini, un demi-siècle trop tôt ; il avait écrit dans un temps où la vraie tactique de son héros était encore méconnue, où un nouveau César n’y avait pas encore mis le complément. » Deux écrivains militaires du plus grand mérite n’avaient pas attendu toutefois le nouveau César pour entendre et commenter Frédéric : Lloyd, un Anglais qui servit avec distinction chez diverses puissances du continent, et Tempelhof, un général prussien, un savant dans les sciences exactes. […] Notez que si Jomini, à son début, profitait des illustres exemples du général Bonaparte pour éclairer ses récits et donner à ses jugements sur Frédéric tout leur relief, à sa théorie toute sa portée et son ouverture, il a lui-même en tant qu’écrivain militaire dû aider et servir à Napoléon, quand le captif de Sainte-Hélène s’est plu, à son tour, à retracer en quelques pages fermes l’histoire critique des campagnes de Frédéric. Jomini a également servi comme historien des Guerres de la Révolution à M.  […] Il n’avait pas vu encore dans le glorieux capitaine qu’il se vouait à servir une seule faute de guerre ; il était sous le charme.

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