« Sans nous communiquer nos sensations nous jouissions avec délice de la beauté du spectacle qui nous entourait, lorsque le chevalier de B…, rompant brusquement le silence, s’écria : “Je voudrais bien voir ici, sur cette même barque où nous sommes, un de ces hommes pervers nés pour le malheur de la société, un de ces monstres qui fatiguent la terre…. […] Je ne les crois point susceptibles d’éprouver les mêmes sensations que nous. […] C’est ce qui me ferait désirer au moins que les méchants, comme vous le croyez, ne fussent pas susceptibles de certaines sensations qui nous ravissent.
« Si je vous fléchissais par mes prières, et si je vous engageais ainsi à violer votre serment de rendre la justice selon vos consciences, et non selon vos sensations, c’est alors que je vous enseignerais l’impiété, et qu’en voulant me justifier, je prouverais moi-même que je ne crois pas aux dieux : mais j’y crois plus que mes accusateurs ! […] « Alors, dit Phédon, il se mit sur son séant, plia sous lui la jambe qu’on venait de dégager des fers, la frotta de la main, et nous dit en la frottant avec une sensation de plaisir : “L’étrange chose, mes amis, que le plaisir et la douleur se tiennent de si près que l’un naisse ainsi de l’autre, quoique l’un soit le contraire de l’autre ! […] « Et l’âme ne pense-t-elle pas plus fortement et plus clairement que jamais, quand elle n’est troublée ni par la vue, ni par l’ouïe, ni par la volupté des sensations, et lorsque, concentrée en elle-même et dégagée autant que possible de son commerce avec le corps, elle s’applique directement à ce qui est, pour le connaître ?
Ce Bonvin, qui a l’aspect farouchement sanguin d’un Vallès, n’est pas seulement l’un des hommes les plus documentaires que j’aie rencontrés, il est tout plein de choses délicates, de sensations joliment distinguées. […] Il oublie qu’il m’a entendu, bien des fois, proclamer mon admiration pour des épithètes, comme la nudité intrépide des pêcheuses de Boulogne, de Michelet, comme gambades rêveuses de Hugo, dans La Fête à Thérèse, — et c’est curieux, ce reproche de sa plume s’adressant à moi, qui ai écrit dans Idées et sensations — un livre qui lui est dédié par parenthèse, — qui ai écrit, que c’était avant tout à l’épithète, et à l’épithète du caractère de celle qu’il cite, que se reconnaît le grand écrivain. […] cet homme qui, dans la souffrance, a des sensations distinguées, assaisonnées de remarques et de réflexions presque littéraires, lorsqu’il écrit, est absolument dénué de littérature, et ne se doute pas du tout de ce qui fait la beauté d’un livre.
En un mot, la prose a été le langage de la raison, la poésie a été le langage de l’enthousiasme ou de l’homme élevé par la sensation, la passion, la pensée, à sa plus haute puissance de sentir et d’exprimer. […] Analysons-nous nous-mêmes : IV L’homme sensitif et pensant est un instrument sonore de sensations, de sentiments et d’idées. […] V Mais comment l’homme discernera-t-il, nous dit-on encore, ce qui doit être parlé ou ce qui doit être chanté dans les sensations ou dans les sentiments qui l’émeuvent ?