Fier sceptique, réponds : je me sens, je me voi ; Qui peut feindre mon être et me rêver en moi ? […] Il est poëte de sens, de sentiment et d’esprit plutôt que de haute imagination. […] Oui, j’avais cru sentir dans des songes confus S’évanouir mon âme et défaillir ma vie ; La cruelle douleur, par degrés assoupie, Paraissait s’éloigner de mes sens suspendus, Et de ma pénible agonie Les tourments jusqu’à moi déjà n’arrivaient plus Que comme dans la nuit parvient à notre oreille Le murmure mourant de quelques sons lointains, Ou comme ces fantômes vains Qu’un mélange indécis de sommeil et de veille Figure vaguement à nos yeux incertains. […] J’ai noté les mérites, le sens précoce, les vers élevés ou touchants de Loyson : j’omets ce qui chez lui est pure bagatelle, bouts-rimés et madrigaux ; car il en a, et la mode le voulait ou du moins le souffrait encore. […] A la voix de la Fortune, Il n’ira point de Neptune Tenter les gouffres mouvants, Ni, sur la foi des étoiles, Livrer d’intrépides voiles A l’inconstance des vents… C’est de lui toute cette ode, qui a pour titre : les Goûts du Poëte, et qui est inspirée du Quem tu Metpomene semel, reste charmant de ton, de sobriété, de sens ferme et doux ; c’est de la bonne poésie du temps de Chaulieu, d’il y a vingt-cinq ans ou d’il y a un siècle.
Le poëte, sous le critique, se retrouve, et ne fait qu’un avec lui par l’esprit et la vie, et le sens propre qu’il découvre et rend aux choses à chaque moment. […] Ampère a rappelé la Chine à propos d’Ausone et de ses périphrases : « Il existe entre les lettrés, a-t-il dit, surtout quand ils écrivent en vers, une langue convenue comme celle des précieuses, et dans laquelle rien ne s’appelle par son nom. » Le Père Garasse sent si bien qu’il est sujet à cette espèce de chinoiserie de style, qu’en tête de sa Somme thèologique, voulant être grave, il avertit qu’il tâchera d’écrire nettement et sans déguisement de métaphores ; ce qui n’est pas chose aisée, ajoute-t-il, « car il en est des métaphores comme des femmes, c’est un mal nécessaire. » Le Père Lemoyne de la Dévotion aisée n’est pas moins ridicule (et dans le même sens) que le plus mauvais des rimeurs allégoriques du ive siècle. […] Mais, je le sens, ce ne sont là que des réflexions à garder tout bas, et qui, fussent-elles vraies, demeurent peu fécondes. […] Quand j’étais malheureux, souvent, lassé du monde, Je m’abîmais au sein d’une extase profonde ; Dans un ciel de mon choix mes sens étaient ravis ; Indicibles plaisirs de longs regrets suivis ! […] Bibliothécaires, dans le sens d’auteurs de Bibliothèques.
Eynard me dira que c’est dans le sens chrétien qu’il parle ; je le sais ; mais je ne voudrais pas que, dans une vie comme celle qu’il nous expose si bien, l’expression même la plus rigoureuse parût choquer une nuance sociale, une nuance féminine. […] Je me laisse aller à dire la vérité comme moi-même au fond je la sens. […] Eynard s’autorise, à cet endroit, du témoignage de M. de Gérando, qui avait conduit Mme de Krüdner à Saint-Lazare, et il me réprimande doucement du sourire que j’ai mêlé à mon éloge ; mais cette critique, qu’il le sache bien, ce n’est pas moi qui l’ai faite : c’est M. de Gérando lui-même, qui, interrogé par moi, me répondit en ce sens. […] C’est l’amour-propre, toujours l’amour-propre, dont le ressort se rêvât, se retourne, et a l’air de jouer en sens inverse contre lui-même. […] Eynard, un moraliste qui saurait les tours et les retours, les façons bizarres de la nature humaine ; mais je ne puis qu’indiquer le sens et l’intention de l’analyse, aimant peu pour mon compte à pousser à bout ces sortes de procès.
J’ai vécu les oreilles et les yeux pleins de la sonnerie et de la féerie de Victor Hugo, et je sens aujourd’hui l’âme de Victor Hugo presque étrangère à la mienne. […] Je sens son œuvre toute pleine de tout ce qui l’a précédée ; j’y découvre, avec les traits qui constituent son caractère et son tempérament particulier, le dernier état d’esprit, le plus récent état de conscience où l’humanité soit parvenue. […] Anatole France me donnent ce plaisir ; et c’est en relisant le Crime de Sylvestre Bonnard et le Livre de mon ami que me sont venues ces réflexions — que je donne pour ce qu’elles valent, car elles sont justes sans l’être et je sens très bien tout ce que j’y néglige. […] Ce charme est très complexe, et je sens bien que je n’en pourrai jamais dégager tous les éléments. […] Étoiles qui avez lui sur la tête légère ou pesante de tous mes ancêtres oubliés, c’est à votre clarté que je sens s’éveiller en moi un regret douloureux.