Pour Töpffer, il y a une vie cachée dans tout paysage, un sens, quelque chose qui parle à l’homme ; c’est ce sentiment qu’il s’agit d’extraire, de faire saillir, de rendre par une expression naïve et fidèle qui n’est pas une pure copie. […] Là même où il s’élève jusqu’à cette troisième et haute région où tout semble écraser l’homme et où la vie sous toutes ses formes se retire, Töpffer trouve encore un sens correspondant au cœur en ces effrayantes sublimités. […] Mais traversée en bien des sens et formée d’une population mi-partie française, italienne et germanique, Genève aurait fort à faire pour garder une langue pure. […] C’est là qu’en accostant, dit-il, le paysan qui descend la chaussée, ou en s’asseyant le soir au foyer des chaumières, on a le charme encore d’entendre le français de souche, le français vieilli, mais nerveux, souple, libre et parlé avec une antique et franche netteté par des hommes aussi simples de mœurs que sains de cœur et sensés d’esprit ; … — en telle sorte que la parole n’est plus guère que du sens, mais franc, natif, et comme transparent d’ingénuité. […] Et ne croyez pas que ce dernier mot soit une épigramme ; car tout aussitôt, dans une page très belle et pleine d’onction, tout en réservant son principe de foi, il va rendre hommage à ce trait d’ingénue et d’absolue soumission qui est obtenue plus facilement par la religion catholique et qui procède du dogme établi de l’autorité même ; il y reconnaît un vrai signe de l’esprit religieux sincère : Et en effet, dit-il, être chrétien, être vrai disciple de Jésus-Christ, c’est bien moins, à l’en croire lui-même, admettre ou ne pas admettre telle doctrine théologique, entendre dans tel ou tel sens un dogme ou un passage, que ce n’est assujettir son âme tout entière, ignorante ou docte, intelligente ou simple, à la parole d’en haut, pas toujours comprise, mais toujours révérée.
Le caractère des dessins que je n’ai pas qualité pour juger est pur, simple, linéaire ; l’artiste, évidemment, s’est attaché à interpréter le plus possible son auteur dans le sens délicat et chaste, dans l’intention du beau pur ; il ne faut chercher ici rien de ce que les gravures du Régent faisaient saillir, l’ingénuité traduite spirituellement, galamment, et même avec une pointe de libertinage. […] Voltaire, qui devinait si juste là même où il ne savait pas, a très-bien dit : « Ce Théocrite, à mon sens, était supérieur à Virgile en fait d’églogue10 ». […] C’est l’éveil du cœur, c’est l’éveil des sens ; c’est une confusion aimable et naïve qui va se prolongeant durant plus d’une année, et à laquelle nous fait assister le vieil auteur avec une complaisance et un détail explicatif qu’il faut toute sa grâce et le passeport de l’Antiquité pour faire excuser. […] Dans le dessin de Prud’hon, on voit Daphnis assis au sortir du bain, et Chloé également nue, debout, un pied dans le bassin de la fontaine, se penchant vers lui et le touchant au bras, à l’épaule, avec une sorte de curiosité : Daphnis la regarde avec douceur et tendresse Quoique tous deux soient un peu plus âgés dans le dessin que dans le roman, que Daphnis ait plus de quinze ans, et Chloé surtout plus de treize, rien n’est trop ni d’un sens douteux dans cette agréable composition. […] Cette traduction d’un gaulois riant, avec tous ses défauts d’exactitude à peu près inévitables, eut pour effet de populariser, de nationaliser de bonne heure l’ouvrage en français, de le faire aimer et goûter, d’y infuser un degré de naïveté qui est plutôt dans le sens que dans les expressions de l’auteur grec.
tant d’observations, de vues en tout sens et sur toutes choses ! […] En détournant un peu de son sens le vieil axiome que « l’homme est la mesure des choses », on pourrait dire que chaque critique est lui-même la mesure des œuvres qu’il apprécie ; car, quoi qu’on fasse, une œuvre est bonne ou mauvaise selon qu’elle plaît ou déplaît à celui qui la juge. […] Weiss a tout ce qu’on voudra : l’esprit, la sagacité, la profondeur ; mais, par-dessus tout le reste, il a « l’humeur » au sens où on l’entendait au siècle dernier. […] Depuis, nous sommes revenus à une grossièreté de sens moral qui rappelle le XVIIe siècle et même la vieillesse de ce siècle, plus brutal et plus cru avec Dancourt, Le Sage et même Regnard, qu’il ne l’avait été en sa verdeur avec Molière et La Fontaine. […] C’est le triomphe du « sens propre », suspect à M.
La débauche de Rabelais se passait surtout dans son imagination et dans son humeur : c’était une débauche de cabinet, débauche d’un grand savant, plein de sens, et qui s’en donnait, plume en main, à gorge déployée. […] Nous touchons ici à l’une des parties du livre de Rabelais qui renferment un grand sens et, jusqu’à un certain point, un sens sérieux. […] Il y a de l’excès, de la charge assurément dans tout l’ensemble ; mais c’est une charge qu’il est facile de ramener au vrai, et dans le sens juste de l’humaine nature. […] Mais Rabelais ne voulait que jeter à l’avance quelques idées de grand sens et d’à-propos dans un rire immense : ne lui en demandez pas davantage. […] Ce dernier jugement de Voltaire restera celui de tous les gens de sens et de goût, de ceux qui n’ont point d’ailleurs pour Rabelais une vocation décidée et une prédilection particulière.