Or le calicot en question, savez-vous qui c’était ? […] Et vous savez, il y en avait pour des centaines, des centaines de mille francs, dans les bibelots couvrant la table. […] Puis, je ne sais à propos de quoi, le nom de Meissonier est tombé dans la conversation, et l’on cite ce mot immense du peintre à un ami, lui annonçant qu’il avait eu l’influence de faire nommer une rue : Rue Meissonier. […] Je me souviens qu’elle disait un jour, à propos de je ne sais quel livre : L’auteur a touché le tuf, et cette phrase demeura longtemps dans ma jeune cervelle, l’occupant, la faisant travailler. […] Avec la séduction, qu’une femme supérieure met dans de l’éducation élevée, on ne sait pas combien grande peut être sa puissance sur une intelligence d’enfant.
Le Consul, qui savait tout, n’ignorait pas qu’il y avait en France un rejeton des Molé, et il l’aurait rattaché à son régime dès ce temps-là ; il le lui fit dire. […] Au reste, ce début si brillant de la vie politique du comte Molé n’aura pas et ne peut avoir d’autre historien que lui-même ; il a laissé des Mémoires dont les commencements au moins, pour tout ce qui est de cette époque, doivent être achevés, et il aura su joindre, en écrivant ce qu’il racontait si bien, la perfection de son bon goût à la netteté de ses souvenirs. […] Molé), au contraire, était resté serein, avec je ne sais quoi de clair et de net qui, sans lui faire voir en beau les choses, dégageait pourtant sa perspective. […] Je regretterai toujours, tout en respectant profondément les convictions personnelles de chacun de mes confrères, et en sachant très bien que l’Académie est et doit être un terrain neutre, que, dans ces cérémonies publiques, l’orateur, en restant lui-même, ne parvienne pas à se dégager assez des engagements de société (plus encore que de parti), pour avoir un mot de justice, je ne veux pas dire de reconnaissance, pour le pouvoir tutélaire qui sait d’ailleurs très bien s’en passer.
Enfin on a beaucoup agité la question de savoir s’il était, ou du moins s’il se croyait véritablement académicien : car, interrogé un jour sur un fait ou sur un vote relatif à l’Académie, M. de Montesquiou avait répondu avec ce tact exquis, particulier, comme on sait, aux gens de sa qualité, et dont la tradition se perd de jour en jour, il avait répondu, dis-je : « Suis-je donc académicien ? […] Toujours, sur cette question de savoir si M. l’abbé de Montesquiou s’estimait dûment académicien, on a produit des révélations importantes. […] Sans doute il est trop vrai de dire que la langue, dans ce qu’elle avait d’excellent, se déforme, se perd de jour en jour ; qu’elle est à la merci de tous, tiraillée, gonflée, bigarrée en cent façons, et qu’au train dont on la mène, on ne peut savoir, d’ici à cinquante ans, ou seulement à vingt-cinq, ce qui en arrivera.
Il est, et je tâcherai de le prouver dans la troisième partie de cet ouvrage, il est des distractions utiles et constantes pour l’homme qui sait se dominer ; mais la foule des êtres passionnés, qui veulent échapper à leur ennemi commun, la sensation douloureuse de la vie, se précipitent dans une ivresse qui, confondant les objets, fait disparaître la réalité de tout. […] La plupart des hommes cherchent donc à trouver le bonheur dans l’émotion, c’est-à-dire, dans une sensation rapide, qui gâte un long avenir : d’autres se livrent par calcul, et surtout par caractère à la personnalité ; mécontents de leurs relations avec les autres, ils croient avoir trouvé un secret sûr pour être heureux, en se consacrant à eux-mêmes, et ils ne savent pas que ce n’est pas seulement de la nature du joug, mais de la dépendance en elle-même que naît le malheur de l’homme. […] Il y a tant d’incertitude dans ce qu’on désire, de dégoût dans ce qu’on éprouve, qu’on ne peut concevoir comment on aurait le courage d’agir, si ses actions retournant à ses sensations, et ses sensations à ses actions, on savait si positivement le prix de ce qu’on fait, la récompense de ses efforts. […] Si l’avare, si l’égoïste sont incapables de ces retours sensibles, il est un malheur particulier à de tels caractères auquel ils ne peuvent jamais échapper ; ils craignent la mort, comme s’ils avaient su jouir de la vie : après avoir sacrifié leurs jours présents à leurs jours avenir, ils éprouvent une sorte de rage, en voyant s’approcher le terme de l’existence ; les affections du cœur augmentent le prix de la vie en diminuant l’amertume de la mort : tout ce qui est aride fait mal vivre et mal mourir : enfin, les passions personnelles sont de l’esclavage autant que celles qui mettent dans la dépendance des autres ; elles rendent également impossible l’empire sur soi-même, et c’est dans le libre et constant exercice de cette puissance qu’est le repos et ce qu’il y a de bonheur.