« En consultant le roman comme peinture de mœurs, on reconnaît dans Daphnis et Chloé des traces sensibles de la période païenne. […] Charlemagne n’y a pas plus échappé que Dagobert, et il joue souvent dans les romans de chevalerie une espèce de rôle de bonhomme entre ses douze pairs et son archevêque Turpin, qui est son saint Eloi.
Il a osé lutter avec le roman historique, alors dans toute sa fraîcheur et sa gloire, il l’a osé presque sur le même terrain, avec des armes plutôt inégales, puisque la fiction lui était interdite, et il n’a pas été vaincu. […] En un mot, s’il m’est permis de reprendre une image déjà employée, une fois entré en lice avec le roman historique, et le tournoi ouvert aux yeux des juges, il fallait tenir la gageure et ne pas recourir aux armes défendues.
Leur roman était là, car le roman n’est jamais le jour que l’on vit : c’est le lendemain dans la grande jeunesse ; plus tard c’est déjà la veille et le passé.
Il avait chargé Fontanes de prendre je ne sais quelle information sur le nombre d’éditions et de traductions, à Londres, du Paysan perverti, et son ami lui répondait : « Assurez hardiment que le conte des quarante éditions du Paysan perverti est du même genre que celui des armées innombrables qui sortaient de Thèbes aux cent portes… Les deux romans français dont on me parle sans cesse, c’est Gil Blas et Marianne, et surtout du premier. » M. […] « Voltaire l’avait, les anciens ne l’avaient pas. » Le style de son temps, du xviiie siècle, ne lui paraît pas l’unique dans la vraie beauté française : « Aujourd’hui le style a plus de fermeté, mais il a moins de grâce ; on s’exprime plus nettement et moins agréablement ; on articule trop distinctement, pour ainsi dire. » Il se souvient du xvie , du xviie siècle et de la Grèce ; il ajoute avec un sentiment attique des idiotismes : « Il y a, dans la langue française, de petits mots dont presque personne ne sait rien faire. » Ce Gil Blas, que Fontanes lui citait, n’était son fait qu’à demi : « On peut dire des romans de Le Sage, qu’ils ont l’air d’avoir été écrits dans un café, par un joueur de dominos, en sortant de la comédie. » Il disait de La Harpe : « La facilité et l’abondance avec lesquelles La Harpe parle le langage de la critique lui donnent l’air habile, mais il l’est peu. » Il disait d’Anacharsis : « Anacharsis donne l’idée d’un beau livre et ne l’est pas. » Maintenant on voit, ce me semble, apparaître, se dresser dans sa hauteur et son peu d’alignement cette rare et originale nature.