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1171. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VII. Les poëtes. » pp. 172-231

Il n’est jamais franc, il est toujours occupé d’un rôle ; il contrefait l’homme dégoûté, le grand artiste indifférent, contempteur des grands, des rois, de la poésie elle-même. […] Le voilà roi, et pour célébrer son avénement, elle institue des jeux à la manière antique ; d’abord la course des libraires qui se disputent la possession d’un poëte, puis le combat des écrivains qui braient et sautent dans la boue à qui mieux mieux, enfin la lutte des critiques qui doivent subir la lecture de deux in-folio sans dormir. […] Quoi de plus plat qu’une partie de cartes, et de plus rebelle à la poésie que la dame de pique ou le roi de cœur ? et pourtant, par gageure sans doute, il a raconté dans la Boucle de cheveux une partie d’hombre ; on la suit, on l’entend, on reconnaît les costumes, « les quatre rois, majestés révérées, avec leurs favoris blancs et leurs barbes fourchues, les quatre belles dames dont les mains portent une fleur, emblème expressif de leur aimable puissance, les quatre valets en robes retroussées, troupe fidèle, une toque sur la tête, une hallebarde à la main, puis les quatre armées bigarrées, brillant cortége, rangées en bataille sur la plaine de velours vert1123. » On voit les atouts, les coupes, les levées, puis un instant après le café, la porcelaine, les cuillers, l’esprit de feu (entendez l’alcool) ; ce sont déjà les procédés et les périphrases de Delille. […] Sous Louis XIV et Louis XV, le pire malheur pour un gentilhomme était d’aller moisir dans ses terres ; hors des sourires du roi et des beaux entretiens de Versailles, il n’y avait qu’à bailler et à mourir.

1172. (1863) Cours familier de littérature. XVI « XCVe entretien. Alfred de Vigny (2e partie) » pp. 321-411

il n’y en a point dans le dévouement nécessaire à son pays ou à son roi. […] En France, avant que la fumée du coup de feu du matin entre l’armée du roi et les combattants du peuple fût dissipée, le général Bugeaud, déjà soumis par la discipline et le patriotisme à la cause qu’il combattait quelques heures plus tôt, m’écrivait pour me dire qu’il se retirait dans ses foyers, mais que, le jour où l’on aurait besoin de lui pour la patrie, il était à la république. […] « — À la santé du roi ! […] Que diable avez-vous donc fait à ces chiens d’avocats qui sont là comme cinq morceaux de roi ? […] La vue des Gendarmes du roi et des Mousquetaires me fit oublier mon vieux compagnon de route.

1173. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre X, Prométhée enchaîné »

On dirait une transformation d’Enchanteur, sordide et rabougri tant qu’il vaque aux œuvres de ses alambics, somptueux et majestueux comme un roi quand il sort des vapeurs de son officine. […] Quand elles apprennent que le Titan leur a fait présent de la flamme, elles se récrient comme si elles voyaient un roi couronner d’un diadème sans prix le front d’un esclave. — « Quoi ! […] Le roi déchu s’est fait courtisan. […] Roi rayonnant et pluvieux de l’air, Zeus s’unissait, pour les féconder, à toutes les substances de la vie physique. Quand ces êtres élémentaires, de plus en plus personnifiés par les fables, devinrent des déesses ou des femmes, le générateur céleste tourna au roi libertin.

1174. (1857) Cours familier de littérature. IV « XXIe Entretien. Le 16 juillet 1857, ou œuvres et caractère de Béranger » pp. 161-252

Qui nous l’aurait dit il y a vingt-sept ans, quand les rois de nos pères, rentrés de longs exils et sacrés pour nous par le sang de Louis XVI, régnaient, le testament de leur frère dans une main, une charte libérale dans l’autre main, sur un peuple frémissant, mais à demi libre ? […] Les rois devaient profiter de ce soulèvement d’orgueil blessé de leurs peuples pour transformer leurs sujets en soldats. […] Il m’aurait fallu louer des chansons qui avaient renversé les dieux et banni les rois de ma famille ; il lui aurait fallu louer des vers qu’il avait raillés sans doute, comme son parti les raillait pendant la bataille. […] Il cherche d’un regard malin le défaut de cuirasse de ses ennemis, les rois, les Bourbons, les nobles, les prêtres, pour lancer sa flèche au point vulnérable et pour rire de la goutte de sang que le dard rapporte à l’arc avec lui. […] Les chansons de Béranger ont un but ; elles visent aux passions d’un parti, au cœur d’un peuple, au trône des rois ; le regard tendu de l’archer roidit la main, la flèche vole plus haut, mais elle vole moins leste ; les chansons de Béranger sentent un peu la lampe et l’huile de ses veilles, au lieu de sentir le raisin de la vendange et la mousse du banquet.

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