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236. (1887) Journal des Goncourt. Tome I (1851-1861) « Année 1855 » pp. 77-117

» * * * — Le rire est le son de l’esprit : de certains rires sonnent bête comme une pièce sonne faux. […] Une dame… — Moi, Madame, comme je vous l’ai dit, je suis horriblement timide ; je m’en cache en raillant quelquefois… Mais je vous promets de ne plus rire, si vous le voulez. […] * * * — Il reste à exprimer en littérature la mélancolie française contemporaine, une mélancolie non suicidante, non blasphématrice, non désespérée, mais la mélancolie humoristique : une tristesse qui n’est pas sans douceur et où rit un coin d’ironie. […] Jadis la religion, c’était là un magnifique dada… mais c’est empaillé maintenant… ou encore le dada du père Corot qui cherche des tons fins et qui les trouve et à qui ça suffit… Tenez, ces gros bourgeois qui viennent le dimanche ici, et qui rient si fort… je les envie. » « Et pour l’amour, mon Dieu, ce que nous exigeons de la créature humaine !

237. (1863) Cours familier de littérature. XV « LXXXVe entretien. Considérations sur un chef-d’œuvre, ou le danger du génie. Les Misérables, par Victor Hugo (3e partie) » pp. 5-79

On éprouve un certain déplaisir à voir un lionceau, devenu plus tard un lion, jeter gratuitement le sarcasme et le rire malséants sur les malheurs et les vieillesses des princes qui protégèrent son enfance. […] « Le rire montre les belles dents quand on en a ; mais elle ne riait point. […] Il ne riait pas. Il fallait quelque émotion extrême pour lui arracher, une ou deux fois l’an, ce lugubre rire du forçat qui est comme un écho du rire du démon.

238. (1886) Revue wagnérienne. Tome I « Paris, 14 mars 1885. »

La mouche au coin de l’œil, un reste de baiser sur les lèvres, elle riait de toutes ses dents vives, la gorge libre et les cheveux au vent. […] Tantôt l’on soupire, tantôt l’on sourit, tantôt l’on rit à pleine gorge. […] Écoutez le cordonnier : sa belle humeur se voile de mélancolie ; il feint de rire et il y a dans ses phrases une onction de paternelle tendresse. […] Les rires étouffés se font homériques, raclent les gorges, secouent les ventres. […] Mais enfin, rire ne suffit pas.

239. (1896) Les origines du romantisme : étude critique sur la période révolutionnaire pp. 577-607

Je sais que vous riez amèrement de cette nécessité, où l’on est en France de prendre un état… Il vaut mieux, mon cher René, ressembler un peu plus au commun des hommes et avoir un peu moins de malheurs. » Prendre un état, ressembler au commun des hommes, mais c’était le malheur des malheurs pour René. Un autre hobereau qui vécut quelque cinquante ans plus tard, trouvait ainsi que le cadet breton,                   … tout travail impossible ; Un gagne-pain quelconque, un métier de valet, Soulevait sur sa lèvre un rire inextinguible. […] « Des femmes à cheval sur les cadavres d’hommes entassés dans les tombereaux, cherchaient avec des rires affreux à assouvir la plus monstrueuse lubricité. » La seule possibilité d’ajouter créance à de telles anecdotes et de les répéter suffit pour caractériser l’affolement des esprits. […] « Nous ne rions pas assez, remarquait la Décade (30 fructidor an IV). […] On se plaint, on crie aux auteurs : faites-nous rire ; et lorsqu’ils déploient une gaieté franche et naïve, notre délicatesse les hue, les renvoie aux boulevards, comme si nous avions peur de nous compromettre en riant. » Le théâtre durant la révolution avait été transformé en une arène politique ; sans-culottes et aristocrates se battaient au parterre ; on finit par transporter sur la scène le fait du jour en des pièces bâclées à la diable.

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