Et, en effet, ces poètes, cette constellation de la Lyre de 1830, n’ont point le rire qu’avait le noir Shakespeare dans sa noire Angleterre, ni le rire autochtone de chez nous, fils de Rabelais, fils de Régnier, fils de Molière, fils de Voltaire, et même fils de Boileau, le raisonnable, qui ne riait pas aux éclats, mais qui riait. […] Seul, Amédée Pommier, de la même époque et de la même pléiade et qu’on peut citer après eux, a le rire encore plus que l’indignation, qu’il a tant ! C’est un Barbier rieur, du temps où le Barbier qui ne riait pas se forcenait dans ses Iambes ou dans son Pianto. C’est le rire qui est certainement la meilleure caractéristique du génie d’Amédée Pommier. […] Le poème de Paris est, tout le temps qu’il dure, un long rire éclatant ou étouffé avec toutes les nuances que le rire peut avoir, effrayant par places, comique à d’autres, burlesque, cordial et bonhomme.
Qui fera l’histoire de son rire ? […] Il ne rit ni ne sourit jamais. […] », de ce vieux joyeux au rire divin. […] C’est plutôt, chez Walter Scott, un sourire qu’un rire, — un large rire silencieux. […] le rire se trouve, ici, à côté des larmes.
Ceux qu’il nous dit semblaient saigner sous leur pastel lilas et rose ; c’étaient des vers qui ne pleuraient pas à force de rire, mais qui riaient… pour ne pas pleurer ! […] », une plaisanterie dont ses amis riaient, c’est-à-dire tout le monde, mais dont moi seul je ne riais pas, car je sais trop que rien n’est impuni pour l’esprit qui se permet tout, et je connais la tyrannie d’une seule mauvaise pensée. […] Excepté cela et l’analyse de Trialph, qui est Lassailly encore, ces Portraits après décès, où se rencontrent des fronts douloureux et presque égarés comme ceux de Gérard de Nerval et de Jean Journet, manquent de plaisanterie… Et si, comme en certains qui touchent à la caricature exquise, comme celui de M. de Jouy, — un petit chef-d’œuvre, — la bouche qui a tant aimé à rire s’y reprend encore, elle s’y reprend en deux fois, et je sens dans ce rire brisé, comme la corde d’un arc rompue, le commencement de l’amertume qui pourrait bien être le commencement de la sagesse… La caractéristique du talent de M. de Jouy par le carrick de l’Empire, ce carrick qui reparaît tous les cinquante ans, taillé d’une autre façon, mais absolument sur le dos du même homme, cette fatale et éternelle perruque qu’a tout front et qui fait, hélas ! […] aussi gai que Monselet dans sa jeunesse, dans ce magnifique temps bleu des premiers jours de la vie où tout est gai, chante et rit, même les fossoyeurs ! […] Charles Monselet, de la charmante famille des esprits légers, — des puissants et magnétiques impondérables dans l’ordre intellectuel, — a le bonheur d’être de ceux-là que les pédants haïssent ; mais il doit savoir à présent, et son livre le prouve peut-être, qu’il y a un autre rire que celui du Faune dans les bois, du Bacchant à souper et du Parisien dans les farces, et que c’est sur ce rire-là que nous comptons désormais pour la seconde moitié de sa vie et l’honneur de sa renommée !
Il la chanta, il la plaignit, la lit rire et pleurer, ensemble ou tour à tour, dans ses vers. […] Campaux, qui s’est rappelé Astyanax et qui a fait de ce mot de Villon l’épigraphe de son livre : Je ris en pleurs ! […] Poète personnel, il ne dit pas, comme lord Byron dans le plus personnel de ses poèmes (le Don Juan), il ne dit pas, avec le cant de l’orgueil anglais : « Quand je ris, c’est pour ne pas pleurer », mais, avec la grâce et la franchise de France : « Je ris en pleurs », et, par cette naïveté de génie, il a traduit tout son génie ! […] Campaux a mis, avec beaucoup de tact, à part de tout, dans l’analyse qu’il fait du génie de son poète, cette fusion divinement humaine du rire et des larmes qui fait tomber des pleurs dans la coupe rose des lèvres souriantes, et passer à travers les épanouissements des rires le cruel fausset des sanglots. […] Mais ce qu’on n’a pas retrouvé, ni avant ni depuis, dans cette sincérité, ce qui fait vraiment Villon et lui étoile le front de sa Muse, c’est le pathétique poignant et charmant des larmes dans le rire et du rire dans les larmes, qui est aussi le pathétique de la nature au mois d’avril, quand il pleut et qu’il fait soleil.