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410. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « La Réforme sociale en France déduite de l’observation comparée des peuples européens. par M. Le Play, conseiller d’État. (Suite et fin.) »

» — « Le bon sens ou les habitudes d’un peuple d’agriculteurs sont bien plus près des plus hautes et des plus saines notions de la politique que tout l’esprit des oisifs de nos cités, quelles que soient leurs connaissances dans les arts et les sciences physiques. » — « Les grandes propriétés sont les véritables greniers d’abondance des nations civilisées, comme les grandes richesses des Corps en sont le trésor. » Il ne cesse d’insister sur les inconvénients du partage égal et forcé entre les enfants, établi par la Révolution et consacré par le Code civil : « Partout, dit-il, où le droit de primogéniture, respecté dans les temps les plus anciens et des peuples les plus sages, a été aboli, il a fallu y revenir d’une manière ou d’une autre, parce qu’il n’y a pas de famille propriétaire de terres qui puisse subsister avec l’égalité absolue de partage à chaque génération, égalité de partage qui, un peu plus tôt, un peu plus tard, détruit tout établissement agricole et ne produit à la fin qu’une égalité de misère. » Il trace un idéal d’ancienne famille stable et puissante, qui rappelle un âge d’or disparu : « S’il y avait, dit-il, dans les campagnes et dans chaque village une famille à qui une fortune considérable, relativement à celle de ses voisins, assurât une existence indépendante de spéculations et de salaires, et cette sorte de considération dont l’ancienneté et l’étendue de propriétés territoriales jouissent toujours auprès des habitants des campagnes ; une famille qui eût à la fois de la dignité dans son extérieur, et dans la vie privée beaucoup de modestie et de simplicité ; qui, soumise aux lois sévères de l’honneur, donna l’exemple de toutes les vertus ou de toutes les décences ; qui joignît aux dépenses nécessaires de son état et à une consommation indispensable, qui est déjà un avantage pour le peuple, cette bienfaisance journalière, qui, dans les campagnes, est une nécessité, si elle n’est pas une vertu ; une famille enfin qui fût uniquement occupée des devoirs de la vie publique ou exclusivement disponible pour le service de l’État, pense-t-on qu’il ne résultât pas de grands avantages, pour la morale et le bien-être des peuples, de cette institution, qui, sous une forme ou sous une autre, a longtemps existé en Europe, maintenue par les mœurs, et à qui il n’a manqué que d’être réglée par des lois ?  […] Forgues, ont dû être frappés d’une phrase qui revient souvent sous la plume de l’illustre agitateur catholique, avant qu’il fût devenu un agitateur démocrate en sens inverse : « Avez-vous lu Rubichon » écrit-il à plusieurs reprises à son correspondant, le marquis de Coriolis. — ; « Vous a-t-on envoyé le dernier ouvrage de Rubichon ? […] « Les individus s’exercent à la tolérance, comme les enfants à la marche, par l’effort de chaque jour et en s’exposant d’abord à tomber. » Je ne sais pas de plus belle page de moralité sociale à méditer, qu’on soit prêtre ou fidèle, ministre ou dépositaire du pouvoir à quelque degré, juge, militaire, — car les militaires eux-mêmes devraient s’accoutumer à être discutés dans ce futur régime, et M. de Turenne en personne, s’il revenait, n’échapperait point à la critique. […] Sur deux ou trois points plus généraux et historiques, il y aurait intérêt à le faire, même à notre point de vue de littérateur, et je ne réponds pas que je ne serai point tenté d’y revenir.

411. (1869) Portraits contemporains. Tome I (4e éd.) « Lamartine — Lamartine, Recueillements poétiques (1839) »

Et comme, avant ce poëme et avant Jocelyn, les volumes du Voyage en Orientavaient été déjà, malgré d’admirables pages, une négligence trop prolongée et trop avouée, comme la préface de Jocelyn même contenait quelques assertions littéraires très-peu justifiables, qui avaient pu s’éclipser devant une charmante lecture, mais que la pratique d’aujourd’hui revient éclairer ; comme, enfin, le volume en ce moment publié sous le nom de Recueillements affiche de plus en plus ces dissipations d’un beau génie, il est temps de le dire ; au troisième chant du coq, on a droit de s’écrier, et d’avertir le poëte le plus aimé qu’il renie sa gloire. […] … Et ici, en beaux et grands vers que chacun a pu lire, revient l’utopie immense, trop immense, mais enfin bornée (il était temps) par une vive peinture de vie heureuse dans une bastide du Midi. […] tout homme ainsi commence… Puis, expliquant sa transformation et comment il est arrivé à perdre sa voix dans le grand chœur, il ajoute :   Alors, par la vertu, la pitié m’a fait homme ;…  Passé, présent, futur, ont frémi sur ma fibre… et dans cette longue et pénible incarnation de l’humanité en lui, qu’il nous développe, il croit qu’il ne parle plus de lui, tandis que le je y revient sans cesse et s’y articule à chaque vers. […] Mais c’est trop douter ; la conscience aussi, en pareil cas, dit non et se soulève ; je reviens à la règle sûre, déjà posée : l’art, comme la morale, comme tous les genres de vérités, existe indépendamment du succès même. 

412. (1800) De la littérature considérée dans ses rapports avec les institutions sociales (2e éd.) « Seconde partie. De l’état actuel des lumières en France, et de leurs progrès futurs — Chapitre VI. De la philosophie » pp. 513-542

Les algébristes ne vous disent pas : Vous allez amener tel dé ; mais ils calculent en combien de coups tel dé doit revenir. […] Tout revient à l’intérêt, puisque tout revient à soi ; mais de même qu’on ne dirait pas : La gloire est de mon intérêt, l’héroïsme est de mon intérêt, le sacrifice de ma vie est de mon intérêt ; c’est tout à fait dégrader la vertu, que de dire seulement à l’homme qu’elle est de son intérêt, car si vous reconnaissez que ce doit être son premier motif pour être honnête, vous ne pouvez pas lui refuser quelque liberté dans le jugement de ce qui le concerne ; et il existe une foule de circonstances dans lesquelles il est impossible de ne pas croire que l’intérêt et la morale se contrarient. […] Il n’existe aucune manière de prouver qu’elle est toujours d’accord avec cet intérêt, à moins d’en revenir à placer le bonheur de l’homme dans le repos de sa conscience ; ce qui signifie simplement que les jouissances intérieures de la vertu sont préférables à tous les avantages de l’égoïsme.

413. (1857) Causeries du lundi. Tome I (3e éd.) « Mémoires de Philippe de Commynes, nouvelle édition publiée par Mlle Dupont. (3 vol. in-8º.) » pp. 241-259

Il en parle même toujours avec convenance et discrétion quand il le nomme ; mais il le juge : « Il étoit assez puissant, dit-il, de gens et d’argent, mais il n’avoit point assez de sens ni de malice pour conduire ses entreprises. » Ce mot de malice revient souvent chez Commynes, et toujours en bonne part. […] Ce fut quand Charles eut la preuve qu’au même moment où le roi venait pour le leurrer de belles paroles et le faire revenir sur les conditions onéreuses du traité juré, il excitait sous main les Liégeois révoltés contre lui. […] « Je ne sais s’ils disoient ainsi à part, ajoute Commynes, je me doute que non ; et à la vérité je crois qu’il les y eût laissés et qu’il ne fût pas revenu. » Commynes exprime ainsi sa conjecture, et il ne s’en indigne pas. […] Revenu à Tours, et enfermé dans son château du Plessis, Louis XI se livre à toutes les bizarreries qu’on sait, mais dont le but et l’intention étaient surtout politiques.

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