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375. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Ce seraient quatre ou cinq heures de délicieuse promenade, et j’aurais le reste du temps pour les exercices de l’esprit qui excluent toute occupation manuelle. […] Que si l’on m’objecte qu’il n’est aucun métier auquel on puisse suffire avec quatre ou cinq heures d’occupation par jour, je répondrai que, dans une société savamment organisée, où les pertes de temps inutiles et les superfluités improductives seraient éliminées, où tout le monde travaillerait efficacement et surtout où les machines seraient employées non pour se passer de l’ouvrier, mais pour soulager ses bras et abréger ses heures de travail ; dans une telle société, dis-je, je suis persuadé (bien que je ne sois nullement compétent en ces matières) qu’un très petit nombre d’heures de travail suffiraient pour le bien de la société et pour les besoins de l’individu ; le reste serait à l’esprit. « Si chaque instrument, dit Aristote, pouvait, sur un ordre reçu ou même deviné, travailler de luimême, comme les statues de Dédale ou les trépieds de Vulcain, qui se rendaient seuls, dit le poète, aux réunions des dieux, si les navettes tissaient toutes seules, si l’archet jouait tout seul de la cithare, les entrepreneurs se passeraient d’ouvriers et les maîtres d’esclaves 182. […] L’imperfection de l’état actuel, c’est que l’occupation extérieure absorbe toute la vie, en sorte qu’on est d’abord d’une profession, sauf ensuite à cultiver son esprit s’il reste du temps ou si l’on a ce goût. […] Et cette harmonie se réalisera, non par la théorie, non par la suppression des individus, non par ce Père-roi des saint-simoniens qui réglait la croyance comme tout le reste, mais par l’aspiration commune et libre, comme cela a lieu pour les élus dans le ciel. […] Il faut qu’elle reste ce qu’elle est, mais qu’elle soit éminemment ce qu’elle est.

376. (1880) Les deux masques. Première série. I, Les antiques. Eschyle : tragédie-comédie. « Chapitre IV, Eschyle. »

Cette vie superbe n’a laissé que quelques vestiges, elfe a disparu sous l’écroulement de son œuvre, il n’en reste que des traditions de persécutions et de calomnies, la face fruste d’une statue lapidée. […] Deux mille ans ont passé, et l’Orestie reste encore le plus terrible des drames. […] Quoi qu’il fasse, il y reste toujours pris par quelque côté. […] Seul, Eschyle reste sombre et rudimentaire, sourcilleux et rauque, au milieu de cette harmonie et de cette clarté. […] Eschyle avait composé quatre-vingt-dix tragédies, il en reste sept ; c’est le plus effroyable naufrage poétique de l’antiquité.

377. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « Lettres de Goethe et de Bettina, traduites de l’allemand par Sébastien Albin. (2 vol. in-8º — 1843.) » pp. 330-352

Au reste, ces défauts que j’indique peuvent se marquer en avançant dans la vie ; mais, à dix-neuf ans, ce n’est qu’un piquant de plus et qu’une grâce. […] Elle se raille du rêve de la jeune fille, qui le lui rend de reste en lutineries, et, tout en la raillant de ce rêve, elle en profite, car il n’est pas de jour où, dans sa solitude, cette mère heureuse ne pense à son fils, « et ces pensées, dit-elle, sont de l’or pour moi ». […] Cette année, je ne me sens pas aussi bien que l’année dernière ; quelquefois je te désire avec une certaine frayeur, et je reste des heures entières à penser à Wolfgang (prénom de Goethe), quand il était enfant et qu’il se roulait à mes pieds ; puis, comme il savait si bien jouer avec son frère Jacques, et lui raconter des histoires ! […] Il paraît, au reste, reconnaître lui-même cette supériorité d’une nature riche et capricieuse, qui se produit chaque fois sous une forme toujours surprenante, toujours nouvelle : « Tu es ravissante, ma jeune danseuse, lui dit-il ; à chaque mouvement, tu nous jettes à l’improviste une couronne. » C’est qu’aussi elle le comprend si bien, elle sait si bien l’admirer ! […] Au reste, la douleur n’a pas le temps de se glisser à travers toutes ces explosions de fantaisie et ces fusées brillantes, et l’on se prend, en la lisant, à répéter avec Goethe lui-même que ce sont là d’aimables illusions : « Car qui pourrait raisonnablement croire à tant d’amour ?

378. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « La Harpe. Anecdotes. » pp. 123-144

On se relève du Dorat et des traits que peuvent lancer des adversaires de ce calibre ; mais on reste abîmé sous des coups comme ceux que Le Brun vient de frapper. […] Assailli d’une foule d’idées et de sentiments, je pleurai assez longtemps sans qu’il me reste d’ailleurs d’autre souvenir de cette situation, si ce n’est que c’est, sans aucune comparaison, ce que mon cœur a jamais senti de plus violent et de plus délicieux, et que ces mots : Me voici, mon Fils ! […] … Mais, je vous en conjure, seulement un doigt de liqueur (vous en avez des Îles)… Je prie Dieu de leur donner tous les jours la même patience qu’à moi : elle est devenue bien rare pour supporter tant de tribulations… De la crème des Barbades, si vous voulez bien… J’en connais de bien respectables… — Au reste, la vie du chrétien n’est que tribulation, et je ne dois pas murmurer contre la volonté du ciel : je vous suis. » La scène est bonne ; elle est chargée : mais qu’importe ? […] La Harpe, au reste, prit ce second échec conjugal et cet affront en toute humilité. […] Pour juger d’un livre, il y a une épreuve sûre : quand vous en avez retranché tous les défauts, s’il y reste de grandes beautés, l’ouvrage mérite de vivre.

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