La farine dans le quartaut ; le lait dans la terrine ; la chanson dans la rue ; les nouvelles du bateau ; l’éclair de l’œil ; la forme et la démarche du corps — montrez-moi l’ultime raison de ces choses, montrez-moi la présence sublime de la cause spirituelle se cachant, comme elle se cache toujours, dans ces alentours et ces extrémités de la nature ; que je voie chaque bagatelle se hérisser de la polarité qui la range instantanément sous une loi éternelle ; l’échoppe, la charrue et le registre rapportés à cette même cause par laquelle la lumière ondule et les poètes chantent : — et le monde ne reste pas plus longtemps un mélange grossier et une chambre de débarras, mais possède la forme et l’ordre ; il n’y a pas de bagatelle ; il n’y a pas d’énigme, mais un seul dessin unit et anime le sommet le plus lointain et le fossé le plus profond41 ».
C’est la nature des hommes courageux (axiome 81) de sacrifier le moins qu’ils peuvent de ce qu’ils ont acquis par leur courage, et seulement autant qu’il est nécessaire pour conserver le reste.
Mais ni la poésie ni l’art ne sont précisément la science : ils passent même l’un et l’autre pour en différer assez profondément ; et tout le monde voit bien que, quand la science et l’histoire ont épuisé tout ce qu’elles pouvaient dire (car elles en ont quelque chose à dire) des poèmes d’Homère ou des tableaux de Raphaël, il en reste à dire quelque autre chose encore, qui peut être matière à « exaltation » ou à « dénigrement ». […] Mais, quant au reste, y compris ce que l’on a débrouillé de « variantes » parmi les manuscrits de la Bibliothèque nationale, pour les Sermons de Bossuet, et jusqu’à tel ramassis de vieilles anecdotes que l’on nous rapportait, il y a trois ou quatre ans, du fond de la Russie, sous le titre de Sottisier de Voltaire, j’ose dire naïvement que le second ne valait pas le prix exorbitant que d’intelligents libraires l’ont fait payer aux amateurs de livre, ni même les premières ce qu’il en a coûté d’ingrat labeur pour les déchiffrer. […] C’est ce qu’il nous reste à montrer ; et que la continuation de l’Histoire littéraire de la France, non moins urgente peut-être, ne ferait pas moins d’honneur à l’Académie française que l’achèvement même de son Dictionnaire. […] Le reste est mieux su : comment le romantisme a gagné ; quelles recrues il a faites ; et comment, enfin, la littérature du xixe siècle a pu croire qu’elle avait rompu les derniers liens qui la rattachaient au siècle précédent. […] Il ne me reste plus, sinon pour être complet, du moins pour tâcher de ne rien omettre d’essentiel, qu’à signaler, dans le même sens, une dernière influence, plus récente à la vérité, mais dont il semble cependant que l’on puisse déjà noter quelques heureux effets, et en attendre de meilleurs encore : c’est l’influence du roman russe, et des exemples de l’auteur d’Anna Karénine ou de celui de Crime et Châtiment, venant s’ajouter, pour les continuer, les prolonger, et les corroborer, aux exemples et à l’influence de l’auteur d’Adam Bede et de Silas Marner.
Je n’y fis plus la moindre allusion pendant tout le reste de sa vie. […] Il atteste que, si tu aimas trop la gloire, cette héroïque faiblesse des soldats, des poètes et des peuples, tu aimas du moins du même amour la probité, le désintéressement, le patriotisme, la liberté personnifiée dans un cercueil qui n’emporte pas tout avec lui dans la terre, puisqu’il reste tant de millions d’hommes pour l’honorer !