Il reste donc dans la perfection spéculative et l’imperfection pratique, bien résolu à n’être qu’un héros, ou à ne pas s’en mêler. […] Rousseau, persuadé qu’il ne serait pas pris au mot, et que Rousseau comprendrait de reste que deux amis du genre humain ne peuvent mieux faire que de rester chacun chez soi102. […] Il y a une époque dans notre histoire où l’on a eu foi aux doctrines du Contrat social ; ce qui reste de cette foi est parmi les périls les plus pressants de notre temps. […] L’imagination qui, dans tout le reste, lui a gâté le réel, ici le lui rend plus aimable. […] Pour ceux dont le sens moral est à l’épreuve de ses doctrines sur le droit de jouir, de sa politique par la souveraineté de l’individu, de sa morale fondée sur la double chimère de l’innocence naturelle de l’homme et de la corruption irréparable des sociétés : pour ceux-là, ce qui leur reste de cette lecture, c’est, parmi quelques souvenirs charmants, une impression attristante de ce mélange de lumière et d’ombre, de vrai et de faux, de hauteurs et de chutes, dans des ouvrages où les mauvais esprits deviennent pires, où les bons ne deviennent pas meilleurs.
Mais ce qui rachète ces frivolités, c’est précisément ce fond sombre et d’une ineffable mélancolie sur lequel, toujours, se dessine le personnage de Tristan (Isolde reste à l’arrière-plan) Par un étrange paradoxe, il devient le type de l’homme de culture ? […] Il ne faudrait point s’exagérer la valeur de telles études, car le vrai fond de toute création artistique reste inévitablement caché. […] Il me reste le langage de la logique. […] Mais cette impression disparaît et, devant le spectacle de la douleur que lui présente Gurnemanz, il reste ignorant et froid. […] « Il sait », mais il lui reste à exécuter son « vouloir » c’est-à-dire à délivrer le Gral et le monde. « Doch wer erkennt ihn klar und hell, des einz’gen Heiles wahren Quell ?
Une autre vieille femme se levant à quatre heures du matin, et allant, pendant le carême, retenir à Notre-Dame une chaise, qu’elle revend dix à douze sous… et le reste de l’année coupant des crins de brosse de la même grandeur, triant des pains d’épice, faisant la cuisine et débarbouillant les enfants des marchands ambulants. […] Enfin il y a une tendresse en nous, qui reste sans issue, sans satisfaction. […] Il passe le reste du dîner à me faire de petites confidences intimes. […] Il reste jusqu’au dîner, feuilletant nos cartons, regardant nos dessins, et entremêlant son inspection de causeries sur Gavarni, dont il parle comme d’un ami qu’il n’aimerait pas, appuyant sur sa dureté avec ses anciennes maîtresses, et laissant percer le dépit jaloux, qu’il éprouve à les voir encore attachées au souvenir de cet homme. […] Je reste là jusqu’à onze heures… Le goût de la campagne chez l’homme, à certains moments, est le besoin de mourir un peu.
Au contraire, que de vieillards dont le cœur reste toujours jeune et la vie toujours féconde, comme ces arbres patients et tardifs qui fleurissent jusqu’en automne, à l’époque où les feuilles meurent ! […] Au reste, le lyrisme étant devenu dominant et, avec lui, la poésie subjective, le moi ne pouvait manquer de s’enfler. […] Prendre ainsi le moi pour centre et pour but, c’est méconnaître, somme toute, sa réelle grandeur ; y borner son regard, c’est enfermer la pensée et l’existence dans un cerveau humain, c’est oublier que la loi fondamentale des êtres et des esprits est un perpétuel rayonnement. « Connais-toi toi-même », dit l’antique sagesse ; oui, car se connaître, c’est s’expliquer à soi-même, par conséquent comprendre aussi les autres et se rapprocher d’eux ; le seul moyen que nous ayons de voir, c’est assurément de recourir à nos propres yeux et à notre propre conscience : nous sommes nous-mêmes notre flambeau, et nous ne pouvons que veiller à ce que tout serve en nous à alimenter la petite flamme qui éclaire le reste. […] Au reste, le bon sens français proteste vite contre un parti pris de bâtir avec des nuages, lesquels s’arrangent et se dérangent, changent de formes sans autre raison que le vent qui passe, — le vent d’une fantaisie de poète qui nous demeure étrangère par système. […] Les prétendus raffinés sont des simplistes qui s’ignorent ; les blasés qui croient avoir « fait le tour de toutes les idées » sont des ignorants qui n’ont pas même fait le tour d’une seule idée ; les dégoûtés de la vie sont de petits jeunes hommes qui n’ont pas encore un instant vécu. — Paul Bourget met dans la bouche des décadents cette parole : « Nous nous délectons dans ce que vous nos appelez corruptions de style, et nous délectons avec nous les raffinés de notre race et de notre heure ; il reste à savoir si notre exception n’est pas une aristocratie. » — Oui, pourrait-on leur répondre, une aristocratie à rebours, comme celle des hystériques, des névropathes, des vieillards avant l’âge.