Sa conversation n’est pas assez vive ; les promptes allures, les faciles changements de ton, le sourire aisé, vite effacé et vite repris, ne s’y rencontrent guère. […] Jette tes yeux vers l’orient, me dit-il ; et raconte-moi ce que tu vois. — Je vois, répondis-je, une large vallée et un prodigieux courant de mer qui roule à travers elle. — Considère maintenant, me dit-il, cette mer, qui à ses deux extrémités est bornée par des ténèbres, et dis-moi ce que tu y découvres. — Je vois, repris-je, un pont qui s’élève au milieu du courant. — Le pont que tu vois, me dit-il, est la vie humaine : considère-le attentivement. — L’ayant regardé plus à loisir, je vis qu’il consistait en soixante-dix arches entières et en plusieurs arches rompues qui, avec les autres, faisaient environ cent. Comme je les comptais, le Génie me dit que ce pont était d’abord de mille arches, mais qu’une grande inondation avait balayé le reste, et l’avait laissé ruiné comme je le voyais maintenant. — Dis-moi encore, reprit-il, ce que tu y découvres. — Je vois, répondis-je, une multitude de gens qui le traversent, et un nuage noir suspendu sur chacune de ses deux issues. — Puis, regardant plus attentivement, je vis plusieurs des voyageurs tomber au travers dans la grande marée qui conduit au-dessous, et je découvris bientôt qu’il y avait dans ce pont d’innombrables trappes cachées, où l’on ne mettait le pied que pour s’enfoncer et disparaître à l’instant.
C’est ici qu’on regrette un Tacite, ce grand lyrique des grands événements ; mais dès qu’on reprend le récit avec M. […] Les négociations avec l’Autriche, celles avec la Prusse ; les premières agaceries diplomatiques de Bonaparte à Paul Ier, empereur de Russie ; le coup d’œil sur l’état intérieur et scandaleux de la cour de Madrid, livrée à un favori, Godoy, tracé d’une main qui charge les couleurs afin d’atténuer d’avance les torts du cabinet des Tuileries envers les Bourbons d’Espagne ; les négociations avec le Saint-Siège, préludes de négociations plus graves pour le Concordat ; la rupture des conférences par l’Autriche, les préparatifs de guerre repris des deux côtés avec une égale vigueur ; le tableau de la prospérité croissante de la France en dix mois d’un gouvernement personnifié dans un jeune dictateur ; l’analyse savante et pénétrante de la situation des différents clergés, séparés en sectes par les serments ou les refus de serments constitutionnels ; la rentrée rapide des émigrés, la statistique profondément étudiée des partis dans l’opinion et dans les assemblées ; les portraits de M. de Lafayette, de Fouché, de M. de Talleyrand, de Carnot, de Berthier, portraits finis et fermes, sans minutie comme sans recherche, où l’on voit que l’historien s’oublie lui-même pour ne penser qu’à son modèle, remplissent ce volume. […] On décida qu’il serait enseveli à Westminster. » Arrêtons-nous là un instant, avant de reprendre cette route immense où M.
Louis Veuillot I J’ai dessein de reprendre et de poursuivre cette série des Contemporains, interrompue pendant cinq ou six ans par des besognes à la fois plus ambitieuses et, au fond, plus frivoles. […] Il comprendrait que cette destruction et l’affaiblissement de ses liens avec le gouvernement politique des peuples est moins pour l’Église une perte qu’un allègement ; que le catholicisme reprend ainsi son vrai caractère, et que l’annonce de l’éternelle « bonne nouvelle » en peut devenir plus libre et plus efficace. […] Vous reprendrez : « Alors le mal est dans votre coeur et dans votre volonté. » Mais, voyons, est-ce que, sérieusement, vous me regardez comme un méchant ?
reprend le docteur, avec un sourire ironique. […] Et comme je lui disais qu’il devrait se reposer, que son travail, dans ces derniers temps, avait été excessif, abominable : « Oui, abominable, c’est le mot, reprend-il, oui, je me suis surmené, puis dans Le Docteur Pascal, j’ai dû me livrer à beaucoup d’études, d’investigations, de recherches pour que ce dernier livre des Rougon-Macquart, ait un lien avec les autres… pour que l’œuvre eût quelque chose de l’anneau du serpent qui se mord la queue. […] Je sens en moi, sur mes jambes de coton, une petite allégresse de reprendre possession du pavé de Paris, allégresse mêlée du vague de la faiblesse.