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2309. (1889) Écrivains francisés. Dickens, Heine, Tourguénef, Poe, Dostoïewski, Tolstoï « Charles Dickens »

Un écrivain humoristique sera donc un homme qui tend à n’éprouver et, par conséquent, à ne rendre chacune de ses sensations, de ses idées, de ses imaginations, de ses perceptions totales ou fragmentaires, que sous forme de sentiments, d’affections, de passions, d’émotions d’aversion, de crainte, de pitié, d’intérêt, de gaieté, et qui s’émeut ainsi sans cesse et, pour des gens autrement constitués, sans raison. […] Ce sont là des œuvres de maturité de Dickens, et quand les descriptions n’y sont pas ainsi écourtées et rendues en impressions morales nécessairement vagues, elles sont réduites encore à de sèches énumérations de lieux assez semblables aux indications d’un commissaire-priseur. […] Dans la description des lieux où ils se meuvent, l’écrivain ne tâche qu’à rendre aussi clairement que dans la délinéation de leur caractère, quelque impression sentimentale, une manière de voir, une suggestion morale ; dans les scènes où il les met en présence, il ne tend qu’à exagérer encore la saillie de leur tempérament, tout en accusant le sens et la tendance propres de l’épisode même, qui, grossi sans mesure, infléchit brusquement toute la marche du récit au gré du goût de l’auteur plus soucieux d’incidents intéressants que de l’équilibre et du progrès de l’œuvre. […] Que l’on joigne à ces livres le fantastique plus grossier des Contes de Noël, l’étrangeté parfois puissante de certaines nouvelles, comme ce Hunted down (Chassé à mort), où l’on finit par traquer un être sombre et farouche appliqué à tuer lentement les parents qu’il a d’abord fait s’assurer ; que l’on prenne encore l’effrayant suicide de Nicolas Nickleby et les réflexions mortelles qui le hantent quand, revenant le soir dans la noire maison où il a décidé de se rendre, il longe le mur du cimetière abandonné qui l’avoisine ; les scènes où cette percluse, fière et bigote négociante, Mme Clennam, languit morosement, toute vêtue de noir, dans un fauteuil à oreillettes, si semblable à un cercueil, autour duquel tourne la vieille Affery avec ses airs de somnambule effarée ; on aura un ensemble de récits terrifiants où Dickens ne touche plus que respectueusement aux vices qu’il déteste et où il parvient presque à créer les êtres complexes et réels, fantomatiques sans doute et entourés de mystère, mais recelant dans leur esprit, que l’auteur laisse deviner sans l’analyser, ces profondeurs et ces crises contradictoires qui constituent l’homme véritable. […] La belle expansion vitale, la gaîté, les exubérants esprits animaux de la jeunesse qui donnaient à sa marche une élasticité particulière et lui faisaient porter sa tête plus haut que d’autres, s’étaient transformés, peu à peu, en une agitation nerveuse incessante, qui le poussait de lieu en lieu, qui lui fit développer et remanier autant ses entreprises que les arrangements de sa maison, qui le rendit peu à peu insupportable à sa femme dont il dut se séparer, qui le poussa enfin à déroger de sa dignité d’écrivain au point de parcourir toute l’Angleterre et l’Amérique en donnant des lectures payantes de ses œuvres, avec une gesticulation, des grimaces et des intonations qui étaient d’un déclamateur plutôt que d’un grand auteur.

2310. (1767) Salon de 1767 « Peintures — Robert » pp. 222-249

Elles font peut-être si peu de bonheur au riche stupide qui les possède, et elles me rendraient si heureux ! […] Vous êtes un habile homme, vous excellerez, vous excellez dans votre genre ; mais étudiez Vernet, apprenez de lui à dessiner, à peindre, à rendre vos figures intéressantes ; et puisque vous vous êtes voué à la peinture des ruines, sachez que ce genre a sa poétique ; vous l’ignorez absolument, cherchez-la. […] Ils ne servent qu’à faire sentir que ceux que vous avez desséchés à la gauche de votre composition sont beaucoup mieux, ou ceux-ci à rendre les premiers plus mauvais, comme on voudra. […] Les arbres, les eaux, les rochers sont en nature ; les ruines y sont plus que les bâtimens, mais n’y sont pas tout à fait, et quand elles y seraient, faut-il rendre servilement la nature ? […] Vous ne ferez plus des figures pour faire des figures, vous ferez des figures pour rendre des actions et des incidens.

2311. (1889) Les artistes littéraires : études sur le XIXe siècle

J’ai la pensée, quand je fais un roman, de rendre une coloration, une nuance. […] Dans Madame Bovary, je n’ai eu que l’idée de rendre un ton, cette couleur de moisissure de l’existence des cloportes. […] Barbey d’Aurevilly152 qui, très judicieusement, rend un arrêt sévère sur leurs procédés habituels de composition et de style. […] Il osait là une énorme entreprise, et il ne semble pas y avoir échoué, quoique, à vrai dire, l’immense ampleur donnée à son champ d’étude soit peut-être une des causes qui ont rendu son œuvre peu accessible à notre esprit. […] Il ne fallut pas moins que son amour de l’art pour la lui rendre tolérable, et lui permettre, selon ses propres termes, « d’escamoter la vie284 ».

2312. (1866) Histoire de la littérature anglaise (2e éd. revue et augmentée) « Livre III. L’âge classique. — chapitre VI. Les romanciers. » pp. 83-171

Tout son plaisir fut de penser qu’il y avait un service à rendre, et qu’il le rendait. « Celui qui a la vérité de son côté, dit-il, est un sot aussi bien qu’un lâche, quand il a peur de la confesser à cause du grand nombre des opinions des autres hommes. […] Son courage n’est que l’ouvrier de son bon sens. « En examinant, dit-il, et en mesurant chaque chose selon la raison, et en portant sur les choses le jugement le plus rationnel possible, tout homme avec le temps peut se rendre maître de tout art mécanique. […] Ils s’y aheurtent comme à une tâche et s’irritent de trouver qu’elle leur rend la tâche si longue. […] Les murs en dedans étaient soigneusement blanchis à la chaux1089… Quoique la même chambre nous servît de parloir et de cuisine, cela ne faisait que la rendre plus chaude. […] Reste à savoir quelles idées l’ont rendu populaire.

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