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1578. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

Les hommes ne se rendent jamais bien compte de leur destinée, tandis qu’ils sont en train de se la faire. […] La mise en train des premières campagnes, les tâtonnements et les inexpériences, une opinion motivée sur la valeur de ces premiers généraux improvisés de la République, la mesure exacte et proportionnée de ces hommes tour à tour exaltés ou dépréciés, le compte rendu clair et intelligible de leur marche, de leurs essais, de leurs fautes et de leurs bévues, comme aussi de leurs éclairs de perspicacité stratégique et de talent, toutes ces parties sont rendues dans une narration bien distribuée et lumineuse, sans que le côté militaire devienne jamais trop technique, sans que la considération politique et morale des choses soit oubliée ; car ce tacticien éclairé est le premier à reconnaître que « la guerre est un drame passionné et non une science exacte 60. » Rien de tranché d’ailleurs ni d’absolu dans la pensée ni dans l’expression : la modération et un esprit d’équité président. […] Bien qu’il eût un congé illimité, il crut devoir spontanément se rendre à Saint-Pétersbourg afin de mettre le reste de ses forces et de sa vie au service de la Russie.

1579. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « M. ULRIC GUTTINGUER. — Arthur, roman ; 1836. — » pp. 397-422

oui, Arthur a raison : tout est souffrant, tout est mauvais, tout est corrompu ; les uns plus tôt, les autres plus tard, chacun à sa manière ; la vue même du mal rend mauvais, la simple connaissance de la corruption corrompt, quand on n’a pas l’aromate immortel. […] Le travail de l’homme, s’unissant aux soins de la Providence, a quelque chose de saint, d’attendrissant, qui ne saurait se rendre. Dans les beaux jours, tout est bien ; mais on oublie souvent comment cela est venu ; le mot de nature semble exprimer tout ; mais, aux jours mêlés de l’automne, on voit avec reconnaissance et un intérêt qui améliore le cœur, ce qu’il en coûte à l’homme pour rendre la terre riante et féconde. […] Je ne sais rendre ce que j’éprouve que par ce cri sublime de saint François de Sales : « Mon cœur, mon cœur !

1580. (1870) Portraits contemporains. Tome II (4e éd.) « DE LA LITTÉRATURE INDUSTRIELLE. » pp. 444-471

Ce qui la caractérise en ce moment cette littérature, et la rend un phénomène tout à fait propre à ce temps-ci, c’est la naïveté et souvent l’audace de sa requête, d’être nécessiteuse et de passer en demande toutes les bornes du nécessaire, de se mêler avec une passion effrénée de la gloire ou plutôt de la célébrité, de s’amalgamer intimement avec l’orgueil littéraire, de se donner à lui pour mesure et de le prendre pour mesure lui-même dans l’émulation de leurs exigences accumulées ; c’est de se rencontrer là où on la supposerait et où on l’excuse le moins, dans les branches les plus fleuries de l’imagination, dans celles qui sembleraient tenir aux parties les plus délicates et les plus fines du talent. […] Quelque hauts services que puissent penser avoir rendus à leur cause les anciens écrivains du Globe devenus députés, conseillers d’État et ministres, je suis persuadé qu’en y réfléchissant, quelques-uns au moins d’entre eux se représentent dans un regret tacite les autres services croissants qu’ils auraient pu rendre, avec non moins d’éclat, à une cause qui est celle de la société aussi : il leur suffisait d’oser durer sous leur première forme, de maintenir leur tribune philosophique et littéraire, en continuant, par quelques-unes de leurs plumes, d’y pratiquer leur mission de critique élevée et vigilante ; aux temps de calme, l’autorité se serait retrouvée. […] En province, à Paris même, si l’on n’y est pas plus ou moins mêlé, on ignore ce que c’est au fond que la presse, ce bruyant rendez-vous, ce poudreux boulevard de la littérature du jour, mais qui a, dans chaque allée, ses passages secrets.

1581. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

Le comte Xavier de Maistre n’était jamais venu à Paris avant cet hiver ; il n’avait qu’à peine traversé autrefois un petit angle de la France, lorsque, vers 1825, il revenait de Russie dans sa patrie, en Savoie, et se rendait de Strasbourg à Genève, par Besançon. […] Son habitation était parfaitement solitaire : un jeune officier (celui de Mme Hautcastel peut-être) donnait volontiers alors, à la dame qu’il aimait, des rendez-vous dans ce jardin qui cachait des roses ; ils étaient sûrs de n’y pas être troublés. […] A l’épouse la plus fidèle On rendra le plus tendre époux ; Les portes d’airain, les verroux, S’ouvriront bientôt devant elle. […] Il écrivait en style moins lyrique à un ami, en se faisant tout petit, non sans malice : « Dans l’impossibilité où je suis de comprendre cette faculté (du poëte) et pour ne pas avouer cette supériorité dans les autres, je pense que les poëtes ont quelque chose dans le poignet qui change la prose en vers à mesure qu’elle passe par là pour se rendre de la tête sur le papier ; en sorte qu’un poëte ne serait qu’une filière plus ou moins parfaite.

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