Les choses avaient pour lui, non pas encore une âme, mais déjà une physionomie assez précise et surtout qu’il aimait à regarder et qu’il s’essayait à rendre. […] Il était de ceux qui, soit paresse d’esprit, soit faiblesse intellectuelle, soit orgueil, et je crois qu’il y avait quelque chose de tout cela dans le cas d’Émile Zola, n’aiment que leur métier proprement dit et n’aiment rien de ce qui y prépare et y rend propre ; n’aiment qu’à peindre, qu’à sculpter où à écrire, et n’aiment ni à regarder longtemps avant de peindre, ni à étudier l’anatomie avant de sculpter, ni à penser avant d’écrire. […] Le maître est descendu au fond de l’immondice. » Soustraction faite de la véhémence inséparable d’une rupture que, du reste, on voulait rendre éclatante, le jugement est presque juste et la condamnation n’est pas imméritée. […] III Vers la fin de sa vie, il perdit tout talent et peut-être sa fin prématurée, encore qu’elle nous ait douloureusement chagrinés, lui rendit-elle service.
Enfin celle qui personnifie la mère douloureuse et voilée de ces drames, la créature souillée et candide qui répand sa douleur en pitié, on sait sa physionomie, le détail de sa chambre, les pièces de son costume ; celle qui restaura la paix dans l’âme défaite du criminel et lui rendit, par quelques paroles tremblantes, la joie de posséder des frères, est une pâle petite fille à la figure menue, dont les yeux, sous des cheveux blonds de lin, sont purs. […] Ici encore le réel exact et complet, bien qu’il ait montré pouvoir exceller à le rendre, ne l’attire pas. […] Il n’est pas, dans tout le livre, de crise plus tragique et plus mystérieuse que la nuit précédant ce suicide, coupée de rêves obscènes, bruyante du souffle lourd du vent dans les arbres, et du lointain murmure du fleuve se gonflant ; ces longues heures, qui sont le raccourci de son trouble, de ses crimes et du puissant amour qui l’exalta à le rendre miséricordieux et désespéré, sont celles d’un demi-monstre luxurieux, dissolu, violent, rusé et gai, mais dont la chair aussi est souffrante, et désireuse de jouir et tendre à la douleur. […] Elle aperçoit et rend la vie à la façon d’une vision lointaine, vaguement inexplicable et confuse sur l’horreur de laquelle elle se penche et s’apitoie ; elle médite en des hallucinations extériorisées l’infini labyrinthe du raisonnement humain, et perçoit en elle la sourde agitation des instincts, des douleurs, des passions et des rages, de tout ce qui est des nerfs et du sang ; elle est imbue de pitié, débordante d’amour pour tous ces êtres faits de péché et de souffrance, et prise alors entre son épouvante et son amour, il fallait que par un effort et une sorte de folie, pareil au coup de poing d’un exaspéré joueur d’échecs près de perdre, elle brouillât et tranchât tout dans une étrange aberration qui la fait s’incliner devant l’être même que cet acte de foi constitue l’auteur des maux dont il devient le recours.
Oublions pour un instant la manière dont sont lus la plupart des romans, prêtés un jour, rendus le lendemain, dévorés par des yeux souvent jolis, mais qui ne savent pas lire, qui ne savent que suivre un héros à travers les pages d’un livre, comme un passant qui s’éloigne sur le sable d’une promenade. […] Le peintre et le romancier verront le même paysage ou le même décor d’appartement ; ils le verront peut-être avec des yeux également fouilleurs, sensibles aux moindres nuances de couleur et aux harmonies des formes ; mais, si leur vision est la même, ils la rendront par des procédés et dans un but bien différents. […] Et ce qu’il essayera de rendre, ce sera l’aspect d’une futaie, à une certaine heure du jour et de l’année, tel qu’il se révèle à des regards qui ne sont occupés que de ce seul objet : bien voir. […] Il se nomme Jacques et il est amoureux ; il se nomme Albert et il pleure sur l’abandon de sa meilleure amie ; il se nomme Dominique et des embarras de fortune lui rendent difficile la résignation nécessaire à la vieillesse qui s’annonce.
Quel service n’avez-vous pas rendu au feu pape Honorius, en me chicanant un peu sur sa personne ? […] Non-seulement pour le fond et pour les faits, mais pour la forme, il s’inquiétait, il était prêt sans cesse à retoucher, à rendre plus solide et plus vrai ce qui, dans une première version, n’était qu’éblouissant. […] En faisant descendre tous ces dieux de leurs piédestaux pour les déclarer simplement grands hommes, on ne leur fait, je crois, aucun tort, et l’on vous rend un grand service… » Et il ajoutait en post-scriptum : « Je laisse subsister tout exprès quelques phrases impertinentes sur les myopes.