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1623. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Le marquis de Lassay, ou Un figurant du Grand Siècle. — II. (Fin.) » pp. 180-203

Redemandant cette même faveur d’être aide de camp du roi pour la campagne qui suivit celle de Namur, et qui fut la dernière que fit Louis XIV, Lassay savait bien qu’il allait au cœur de Mme de Maintenon lorsqu’il insistait sur la prudence et qu’il disait bien plus en courtisan qu’en soldat : Si je ne regardais que mon intérêt particulier, par toutes sortes de raisons je souhaiterais ardemment qu’il (le roi) allât commander ses armées, mais je crois qu’il n’y a pas de bon Français qui doive souhaiter qu’il y aille : quand je songe à Namur, je tremble encore ; sans compter les autres périls, le roi passait tous les jours au milieu des bois qui pouvaient être pleins de petits partis ennemis ; on n’oserait seulement porter sa pensée à ce qui pouvait arriver : que serait devenu l’État, et que serions-nous devenus ? […] Esclave des gens qui sont en faveur, tyran de ceux qui dépendent de lui, il tremble devant les premiers et persécute sans cesse les autres… Souvent il est agité par une espèce de fureur qui tient fort de la folie : ce ne sont quasi jamais les choses qui en valent la peine, mais les plus petites, qui lui causent cette fureur : cela dépend de la situation où se trouve son esprit ; et cela vient aussi de ce qu’il n’est point louché de ce qui est véritablement mal ; si bien qu’il ne regarde jamais les choses, mais simplement les personnes qui les ont faites ; et, si c’est quelqu’un qui lui déplaise, il grossit des bagatelles et en fait une affaire importante : cependant il est si faible et si léger que tout cela s’évanouit, et il ressemble assez aux enfants qui font des huiles de savon.

1624. (1867) Nouveaux lundis. Tome IX « Journal et Mémoires, de Mathieu Marais, publiés, par M. De Lescure »

On le regardait comme un apôtre ; mais on reconnaît à présent que c’était un faux apôtre et un déclamateur qui a joué la religion. […] Elle a vécu jusqu’à soixante ans dans une noble simplicité que je regardais comme la fleur de ses mérites et le plus beau fleuron de leur couronne ; tout d’un coup il lui prit une tranchée de bel esprit : elle ne voulut plus voir que des personnes d’érudition ; elle les brigua, elle les mendia, elle en forma chez elle un bureau, se contentant de la science d’autrui et ne cherchant que la réputation d’une femme d’un mérite à part, et distinguée des personnes de son sexe.

1625. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville »

Aux États-Unis donc, on regarde l’exécution d’une belle prison comme la pyramide de Chéops, ni plus ni moins, et, par contre-coup, nous qui passons en quelque sorte pour le système pénitentiaire fait homme, quand on nous place à côté de la pyramide, nous sommes des espèces de géants. […] Quand j’ai commencé à réfléchir, j’ai cru que le monde était plein de vérités démontrées ; qu’il ne s’agissait que de bien regarder pour les voir : mais lorsque j’ai voulu m’appliquer à considérer les objets, je n’ai plus aperçu que doutes inextricables.

1626. (1868) Nouveaux lundis. Tome X « Nouvelle correspondance inédite de M. de Tocqueville (suite et fin.) »

Les dix dernières années, qui ont été assez stériles pour moi sous beaucoup de rapports, m’ont cependant donné des lumières plus vraies sur les choses humaines et un sens plus pratique des détails, sans me faire perdre l’habitude qu’avait prise mon intelligence de regarder les affaires des hommes par masses. […] J’ai, donc souvent cherché depuis quelques années (toutes les fois du moins qu’un peu de tranquillité me permettait de regarder autour de moi et de voir autre chose et plus loin que la petite mêlée dans laquelle j’étais engagé), j’ai cherché, dis-je, quel sujet je pourrais prendre ; et jamais je n’ai rien aperçu qui me plût complètement ou plutôt qui me saisît.

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