Pour bien comprendre cette vérité, il ne faut point circonscrire sa vue dans les murailles de Paris ; il faut envisager l’Europe ; voir les établissemens nombreux & utiles qui s’élèvent de toutes parts, passer les mers ; regarder l’Amérique & méditer sur la révolution étonnante qui s’y prépare(7). […] Ne fut-il pas un tems (& ce tems touche au nôtre, & ces préjugés de Visigoths ne sont pas entiérement détruits ;) ne fut-il pas un tems, dis-je, où la profession des armes étoit la seule distinguée, où les arts qui font l’aisance, le repos, les commodités, la gloire, les plaisirs, la nourriture de l’homme, étoient regardés avec mépris ? […] On regarde en pitié tout ce qui n’a pas le suffrage de la bonne compagnie, & l’on décide que l’on n’a des yeux, des oreilles, un cœur que dans la Capitale ; que tout ce qui se fait ailleurs, est de très-mauvais goût ; & après avoir ainsi anathématisé les jouissances des autres Nations, on les plaint ; & l’on demande si elles ont dans leur langue Andromaque & Vert-vert. […] Il me semble entendre une voix qui crie au fond du cœur de celui qui va écrire : arrête ; regarde qui tu es : avant de prendre la plume, considere-toi bien ; tremble de te tromper(34) & de tromper les autres ; que vas-tu dire à tes semblables ? […] Non : chaque Être a son cachet particulier ; & se métamorphoser, c’est s’anéantir ; ne craignez point d’être taxés de singularité : ce qui est regardé aujourd’hui par la foule profane comme un sacrilège, deviendra demain l’objet de sa vénération.
— Regardez le ménage Riverolles, entre mille. […] Les hommes qui savent regarder comprennent les causes profondes de cette sympathie ou de cette antipathie. […] Un autre inconvénient de ce style, c’est qu’il met autour des personnages un décor regardé par des yeux d’artiste. […] Pour être plus exact, il regarde lui-même ce milieu avec beaucoup de soin, et, ce qu’il copie ensuite, c’est sa vision d’artiste. […] Pour Amiel, penser et se regarder penser, sentir et se regarder sentir, ne furent jamais qu’une seule et même chose.
Dans une note de Laforgue, on lit ceci : « J’aime, j’ai bu un bon coup de vertige… Je me sens tout solennel… Je me sens généreux, céleste, humain, palpitant, si plein de choses que je n’ose me regarder entre quat’z yeux. […] Il regarda, derrière lui, la rive : Il n’avait pas quitté le bord. […] Et le Dormeur du mystère de la Forêt dit à la Dame : Regarde vers l’orée et l’aurore… Que vois-tu par-delà la Forêt et l’aurore ? […] Il sait que la mer est féconde en sortilèges et qu’à travers les choses qu’on croit inertes, de mystérieuses faces nous regardent ; il a vu jadis les dryades saigner, quand sa hache entamait les arbres de la forêt… Un jeune homme est assis au bord des flots et, sur ses genoux, étrange et nue, dort une sirène. […] Et celle qui l’a tué, près de lui pleure leur destinée : Ô pauvre frère, aux yeux de songe et de science… il fallait regarder mes yeux comme on regarde l’eau qui luit en flaques sur le sable, plus doux à toucher qu’une joue… Il fallait mettre en tes pensées du vent, du soleil et de l’amour, toute ma chair vivante à la tienne enlacée, et sur la bouche grave et pâle de ton songe ma bouche fraîche !
afin qu’on ne regarde pas Si je me sens troublée auprès d’un front limpide, Et sombre auprès de cœurs qui se parlent tout bas.