Ils ont raison d’admirer le grandiose de ces écuries de Chantilly ; mais leur point de vue en reste marqué. […] Michelet, qu’admirent MM. de Goncourt, et qui le leur rend, a très-bien dit dans son œuvre récente114 : « Cherchons le cœur du xviiie siècle, il est double : Voltaire, Diderot. » Pour moi, je ne considérerai la moyenne des esprits comme tout à fait émancipée en France et la raison comme bien assise, même à Paris, que lorsque Voltaire aura sa statue, non pas dans le vestibule ou dans le foyer d’un théâtre, mais en pleine place publique, au soleil. […] La partie pittoresque domine chez MM. de Goncourt ; ils ont eu toute raison de mettre le mot Sensations au titre de leur livre : ce sont de vrais tableaux à la plume qu’ils font. […] Et, par exemple, pour ne pas sortir du détail du style, MM. de Goncourt ont dit : « L’épithète rare, voilà la marque de l’écrivain. » Ils ont raison, à la condition que l’épithète rare ne soit pas toujours le ton pris sur la palette. […] Ils sont bien des hommes de la fin du xviiie siècle en cela ; mais ils sont tout à fait des artistes du xixe par les touches successives du tableau et les nuances à l’infini : « Se trouver, en hiver, dans un endroit ami, entre des murs familiers, au milieu de choses habituées au toucher distrait de vos doigts, sur un fauteuil fait à votre corps, dans la lumière voilée de la lampe, près de la chaleur apaisée d’une cheminée qui a brûlé tout le jour, et causer là à l’heure où l’esprit échappe au travail et se sauve de la journée ; causer avec des personnes sympathiques, avec des hommes, des femmes souriant à ce que vous dites ; se livrer et se détendre ; écouter et répondre ; donner son attention aux autres ou la leur prendre ; les confesser ou se raconter ; toucher à tout ce qu’atteint la parole ; s’amuser du jour, juger le journal, remuer le passé comme si l’on tisonnait l’histoire ; faire jaillir, au frottement de la contradiction adoucie d’un : Mon cher, l’étincelle, la flamme, ou le rire des mots ; laisser gaminer un paradoxe, jouer sa raison, courir sa cervelle ; regarder se mêler ou se séparer, sous la discussion, le courant des natures et des tempéraments ; voir ses paroles passer sur l’expression des visages, et surprendre le nez en l’air d’une faiseuse de tapisserie ; sentir son pouls s’élever comme sous une petite fièvre et l’animation légère d’un bien-être capiteux ; s’échapper de soi, s’abandonner, se répandre dans ce qu’on a de spirituel, de convaincu, de tendre, de caressant ou d’indigné ; jouir de cette communication électrique qui fait passer votre idée dans les idées qui vous écoutent ; jouir des sympathies qui paraissent s’enlacer à vos paroles et pressent vos pensées comme avec la chaleur d’une poignée de main : s’épanouir dans cette expansion de tous et devant cette ouverture du fond de chacun ; goûter ce plaisir enivrant de la fusion et de la mêlée des âmes, dans la communion des esprits : la conversation, — c’est un des meilleurs bonheurs de la vie, le seul peut-être qui la fasse tout à fait oublier, qui suspende le temps et les heures de la nuit avec son charme pur et passionnant.
Fournier cherche à ce fait des raisons et des enchaînements qui bien probablement ne s’y trouvaient pas : « En mettant son fils à l’Oratoire, le père de La Bruyère n’aurait fait que suivre l’exemple du fameux Senault, collègue de son père dans le gouvernement de la Ligue, dont le fils était supérieur de la Congrégation, à l’époque même où La Bruyère s’y serait trouvé comme novice. […] Fournier me répondît publiquement, soit dans la Patrie, soit dans le Constitutionnel même ; qu’il produisît ses raisons, auxquelles j’aurais peut-être ensuite répondu à mon tour. […] Intuition, induction, déduction, etc., sont permises en des choses plus graves, sinon plus sérieuses, par exemple en épigraphie — cet âge de pierre — de l’archéologie, — et Dieu sait si l’on y abuse de la faculté de voir, par la raison qu’on ne saurait voir mieux ! […] C’est à la vérité de revenir pour m’abattre ; mais quel triomphe si elle me donne raison ! […] Fournier a cru en trouver une raison fine : ce serait le prénom d’un mari dont la veuve était fort amie de La Bruyère, et l’on pouvait supposer qu’il remplaçait le défunt.
S’il avait voulu dire simplement qu’il y a bien du hasard à la guerre, que les réputations y sont souvent surfaites ou usurpées, que l’exécution des plans les mieux combinés dépend de mille accidents et de mille instruments qui peuvent les déjouer et les trahir, et que, dans l’art individuel du peintre et du poète, avec toutes les difficultés qui s’y mêlent, il n’entre point de telles chances, il n’y aurait qu’à lui donner raison, et il n’aurait rien dit de bien neuf. […] Il a raison. […] En voyant ces rochers, partout couronnés de myrte et d’aloès, et ces palmiers dans les vallées, vous vous croyez au bord du Gange ou sur le Nil, hors qu’il n’y a ni pyramides, ni éléphants ; mais les buffles en tiennent lieu et figurent fort bien parmi les végétaux africains, avec le teint des habitants qui n’est pas non plus de notre monde… Ce n’est pas sans raison qu’on a nommé ceci l’Inde de l’Italie. […] Des personnes, qui ont vu ces pièces, en ont emporté une impression qui est un peu autre, m’assure-t-on, que celle des lecteurs de la brochure ; les simples lecteurs, en effet, qui n’entendent qu’une des parties, ont peine à ne pas donner raison à Courier. […] Je ne prétends pas décider auquel des deux moments il eut le plus raison, mais je tiens à bien noter les deux moments dans sa vie.
Qui aurait dit, il y a quelques années, que ton écolier en philosophie, celui de Cicéron en rhétorique et de Bayle en raison, jouerait un rôle militaire dans le monde ? […] C’est, en honneur, tout ce que la nature a droit de demander d’un bon citoyen… Jordan, tout en convenant que ce serait plus sage d’en agir ainsi, continue de s’affliger des maux qui frappent l’espèce en général, par la raison, dit-il, que « la société ne fait qu’un corps », et que tous les membres sont solidaires. […] Je crains Berlin pour cette raison, et j’aurai bien de la peine à me sevrer des agréments que me procuraient autrefois dans cette ville l’amitié et la société de deux personnes que je regretterai toute ma vie (Jordan et Keyserlingk). […] Il explique assez au long à Jordan les raisons qu’il a eues de faire sa paix séparément de la France, et il lui donne la clef de sa morale de souverain : chez un souverain, c’est l’avantage de la nation qui fait la règle et qui constitue le devoir : « pour y parvenir, il doit se sacrifier lui-même, à plus forte raison ses engagements, lorsqu’ils commencent à devenir contraires au bien-être de ses peuples ».