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186. (1872) Nouveaux lundis. Tome XIII « Le général Jomini. [V] »

La haute impartialité militaire et politique qu’il observe dans ses récits ne le laisse pourtant pas toujours indifférent. En toute rencontre, il s’est montré l’adversaire déclaré et convaincu du despotisme maritime qu’exerçait alors l’Angleterre, et si ses vœux qui percent à travers ses récits sont en général pour une liberté raisonnable et pour la stabilité de l’Europe, ils ne sont pas moins vifs et constants pour ce qu’il appelle « l’équilibre maritime et le libre parcours des mers. » En ce sens, la politique de Jomini a pu être qualifiée antianglaise. […] Si vous lisez tout cela à monsieur de Motschanoff, je vous souhaite bien du plaisir. » Revenons aux études sévères. — Son Histoire des Guerres de la Révolution terminée, Jomini, malgré ses plaintes et cet ennui d’écrire qu’il ne faudrait cependant pas s’exagérer, devait n’avoir qu’une pensée et qu’un désir : continuer son récit et donner l’histoire des guerres de l’Empire. […] Dans sa charmante retraite de Passy, il était intéressant à visiter : il aimait la conversation, et bien qu’un cornet acoustique fût nécessaire, il suffisait d’y jeter quelques mots pour amener sur ses lèvres des récits vivants et où l’âge ne se faisait sentir que par plus d’à-propos et d’expérience. […] Dans l’un et l’autre cas, je lui ai paru trop hésitant sur la rigoureuse exactitude du récit oral et un peu trop sceptique.

187. (1870) Portraits contemporains. Tome III (4e éd.) « LE COMTE XAVIER DE MAISTRE. » pp. 33-63

L’histoire du Lépreux est donc véritable, comme l’est celle de la Jeune Sibérienne, que l’auteur avait apprise en partie d’elle-même, et comme le sont et l’auraient été en général tous les récits du comte Xavier, s’il les avait multipliés. […] Or, dans le délicieux récit qu’on gâte, imaginez comment l’intérêt ému circule aisément à travers ces perpétuels crochets. […] Les auteurs du Lépreux corrigé ont méconnu l’une des plus précieuses qualités du récit original, qui est dans l’absence de toute réflexion commune ou prétentieuse. […] La perfection des deux nouveaux opuscules prouve que, chez lui, le bonheur du récit n’était pas un accident, mais un don, et combien il l’aurait pu appliquer diversement, s’il avait voulu. […] » — Mais pour saisir ces choses véritables, comme M. de Maistre l’a fait dans son récit, pour n’en pas suivre un seul côté seulement, celui de la foi fervente qui se confie et de l’héroïsme ingénu qui s’ignore, pour y joindre, chemin faisant et sans disparate, quelques traits plus égayés ou aussi la vue de la nature maligne et des petitesses du cœur, pour ne rien oublier, pour tout fondre, pour tout offrir dans une émotion bienfaisante, il faut un talent bien particulier, un art d’autant plus exquis qu’il est plus caché, et qu’on ne sait en définitive si, lui aussi, il ne s’ignore pas lui-même.

188. (1870) Portraits contemporains. Tome IV (4e éd.) « M. DE BARANTE. » pp. 31-61

Un rapprochement, un contraste m’a dès longtemps frappé, et il vient ici assez à propos, puisqu’il s’agit de récit. […] En la rapportant aux progrès successifs et à la chute de la vaste et éclatante domination des princes de Bourgogne, le cercle du récit se trouve renfermé dans des limites précises. […] Il pensa que rien qu’avec des récits contemporains bien choisis, habilement présentés et enchâssés, on pouvait non-seulement rendre aux faits toute leur vie et leur jeu animé, mais aussi en exprimer la signification relative16. […] On n’attend pas que nous nous engagions dans une analyse, que nous allions resserrer ce que l’auteur, au contraire, a voulu étendre, que nous décolorions ce qu’il a laissé dans sa fleur de récit. […] Rien alors ne se fait sans eux, et les plus grands coups, ce sont souvent eux qui les donnent19. » Quoi qu’il en soit des vues nouvelles que ce coin de la question, tardivement démasqué, ne peut manquer d’introduire dans l’histoire finissante de la maison de Bourgogne, l’effet des beaux récits de Jean de Muller et de M. de Barante subsiste ; l’impression populaire d’alors y revit en traits magnifiques et solennels que le plus ou le moins de connaissance diplomatique ne saurait détruire.

189. (1865) Causeries du lundi. Tome VI (3e éd.) « Mémoires de Daniel de Cosnac, archevêque d’Aix. (2 vol. in 8º. — 1852.) » pp. 283-304

On a un récit de sa première vie tracé par un homme qui fit auprès de lui plusieurs séjours, et qui ne paraît pas avoir été autre que l’abbé de Choisy. À toutes les raisons qu’on a de croire que ce récit très amusant et ce portrait du premier Cosnac est de l’abbé de Choisy, j’en ajouterai une qui me paraît décisive, c’est la manière délicate et toute féminine dont il est parlé de cette nature et de ces inclinations toutes féminines aussi de Monsieur, duc d’Orléans. […] Pour compléter tous les avantages de sa charge, l’abbé de Cosnac, une fois en pied, s’était si bien arrangé, que si, dans ses courtes absences, quelqu’un parlait un peu privément au prince, les domestiques, je me trompe, les valets, l’en venaient avertir aussitôt : « Je m’étais si bien établi dans sa chambre, que tout ce qu’il y avait de valets me rendait compte de ce qui s’y passait. » Tout cela n’est pas beau, tout cela n’est pas grand, et pourtant ces récits font essentiellement partie de ce qu’on appelle le Grand Siècle. […] Cette dernière est restée à Pézenas, et c’est l’abbé de Cosnac que le prince de Conti charge de l’ennuyeuse mission d’aller lui signifier la rupture : J’arrivai à midi dans Pézenas, nous dit l’abbé de Cosnac (et tout son récit en cet endroit exprime bien une ironie légère). […] Quand il eût eu dans le cœur quelques restes de tendresse pour cette femme, elle se serait évanouie par le récit que je lui fis de l’inégalité de son humeur et de la légèreté de son esprit ; mais cette idée était déjà tellement effacée, qu’il ne lui en restait aucun souvenir, et depuis ce temps je ne me souviens point de lui avoir ouï nommer son nom.

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