Tenus en éveil par l’éloquence des prédications et l’éclat des controverses, ils saisissaient la philosophie substantielle qu’enveloppe la forme théologique : elle contenait de quoi satisfaire aux plus inquiètes curiosités, la raison de l’univers, le sens de la vie, la règle des volontés. […] On trouvait au fond des pots les idées hardies ou plaisantes ; d’insolentes facéties, comme le Chapelain décoiffé, et la Métamorphose de la perruque de Chapelain en astre, naissaient comme d’elles-mêmes après boire ; et si l’on examinait souvent quelque point de doctrine, la raison d’un usage ou d’une règle, si ce fut vraisemblablement dans ces conversations autour de la table que nos écrivains prirent conscience de leur rôle, et que Boileau exerça sur leur génie une sorte de direction salutaire par la droiture de son sens critique, il ne faut pas oublier que ces bons compagnons faisaient une besogne sérieuse très peu sérieusement, sans morgue dogmatique, sans tapage et sans pose, n’ayant l’air de songer et ne songeant en effet qu’à se divertir. […] Il n’importe pas moins d’établir que ce très raisonnable poète aimait la bonne chère, et savait aussi bien ordonner un dîner qu’un poème selon les règles.
On ne se borne plus à constater une règle de grammaire : on en cherche patiemment la genèse à travers les âges ; on remonte à son origine, à son principe. […] Je pourrais noter encore le rôle important dévolu souvent aux inventeurs, aux savants, aux médecins, les tirades sur les vibrions ou sur la liquéfaction de l’oxygène, et même l’emploi, en qualité de ressorts dramatiques, de certains engins nouveaux tels que le télégraphe et le téléphone : ressorts qui, pour le dire en passant, auraient été bien précieux au temps où régnait la règle des trois unités, puisqu’ils permettent de faire parler et prendre part à l’action les personnages absents. […] J’ai connu dans ma jeunesse un professeur de rhétorique qui se vantait à ses élèves d’ignorer les quatre règles élémentaires de l’arithmétique, et l’on sait le mot de ce géomètre qui disait après la représentation d’une belle tragédie : Qu’est-ce que cela prouve ?
Peut-être fus-je habitué par les musiciens romantiques à des fracas plus variés, ou bien les règles trop ineptes de la symphonie furent elles — seules de toutes règles — une entrave au génie de Beethoven. Ainsi on pourrait expliquer, en regard, l’écrasante splendeur des ouvertures71 : là, nulle règle cruelle, et le droit de ne point développer les émotions au-delà de leur mesure vécue.
« L’imitation de la nature, voilà le grand point, dira plus tard un peintre illustre, et toutes les règles ne sont faites que pour nous mettre à même de l’imiter plus aisément. » [Cf. […] Parce qu’il sait bien « qu’en France on ne considère que ce qui plaît », que « c’est la grande règle et même la seule » pour ainsi dire, il s’est donc bien gardé d’y manquer ! […] La plasticité de l’esprit français absorbe, s’assimile tous ces éléments disparates, les conforme à ses exigences, les réduit aux règles de sa grammaire. […] — Parce que l’on croyait alors qu’il existe une relation nécessaire entre la perfection des œuvres et l’observation des règles ou des lois des genres dont elles relèvent. […] — et qu’en règle générale, il est toujours prudent de commencer au moins par ne pas croire Saint-Simon. — A-t-il seulement jamais vu Fénelon ?