Les Préjugés du public, par M. […] Marchand a fait part au public de son Radotage : brochure ingénieuse où le sel de la raillerie assaisonne les préceptes de la raison.
Rien d’ailleurs n’est plus déplacé que des injures dites au public : il est vrai que si quelqu’un s’est jamais pu acquérir ce droit-là, c’est Rousseau, puisqu’il a pour ainsi dire renoncé à la société ; mais du moins quand on veut insulter quelqu’un il faut être de bonne foi, et je crois qu’il n’y en a point dans cette préface. […] Rousseau est peut-être le seul qui fasse une classe à part : la crainte de choquer les opinions reçues, de révolter par des paradoxes, de passer pour cynique, de se faire des ennemis et des affaires, rien de tout cela ne l’arrête ; il s’est mis à son aise avec le public de tous les rangs et de toutes les espèces ; et cette liberté, qui se trouve heureusement jointe en lui à beaucoup de talent, lui donne un prodigieux avantage.
Donner à causer (on causait alors), lire ses romans à ses intimes, recevoir dans sa loge à l’Opéra les littérateurs qui, à Paris, sont toujours un peu femmes et qui aiment à se montrer à leur public ; un soir exhiber dans son salon le jeune Victor Hugo, l’enfant du génie, qui a commencé (ce qui n’est ni très poétique, ni très sauvage) par des succès de société, comme M. […] J’ai en commençant ce chapitre exprimé des doutes sur les chances d’avenir qu’avait cette réimpression des œuvres complètes d’une femme qui a fait, par la force de sa coterie et le bavardage toujours prêt de sa plume, l’illusion du talent aux gens de son temps, aux éternels badauds qui sont le fond de tous les publics.
Le plus brillant par le talent des deux, — celui-là qui n’avait pas été, comme l’autre, dans sa vie publique, qu’un diplomate, — l’orateur tout-puissant et l’écrivain, s’adressait, quand il mourut, le mot d’Hamlet : « Va dans un couvent ! […] L’autre, moins passionné, moins grand, moins à bout de tout, ne donna que celle des affaires publiques.