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592. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

quelles parties lui sont propres, et quel est son coin d’originalité, soit pour la pensée, soit pour la forme ? […] Le genre d’observations qui est propre à Duclos est sensé, rapide, mais d’une nature très sobre : J’ai cru devoir donner, dit-il, une idée de l’état de la France et de la cour de Charles VII, pour faire mieux entendre ce qui regarde son successeur : on verra que Louis XI, né et élevé au milieu de ces désordres, en sentit les funestes effets. Indépendamment de son caractère propre, les réflexions qu’il fit sur les premiers objets dont il fut frappé contribuèrent beaucoup à la conduite que nous lui verrons tenir. […] C’est ainsi que, pour être plus piquant et plus vif, Duclos travestit en son propre langage le ton d’une conversation d’intérieur entre une jeune personne et Louis XIV. […] Mais il est un chapitre intéressant et neuf de son ouvrage qui sans doute (je l’espère du moins) lui appartient plus en propre et auquel il faut rendre toute justice, c’est celui qui a pour titre Histoire des causes de la guerre de 1756.

593. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Saint-Martin, le Philosophe inconnu. — II. (Fin.) » pp. 257-278

Un esprit, ainsi tourné à son propre sens et à la poursuite d’une félicité intime, ne fut donc pas un témoin très attentif ni très rigoureux du détail de la Révolution ; il n’en prit que ce qui allait à ses vues et ce qui favorisait ses espérances53. […] Revenant habiter à Paris l’année suivante, vers octobre 1793 : J’ai la douce consolation, dit-il, d’y éprouver que l’on peut trouver Dieu partout, que partout où on trouve son Dieu on ne manque de rien, on ne craint rien, on est au-dessus de tout, enfin que l’on peut obtenir toutes les connaissances qui nous sont nécessaires sur notre propre conduite si on les demande avec confiance. […] Le propre de l’âme de l’homme, tant elle a conservé de royales marques de sa hauteur première, est de ne vivre que d’admiration, « et ce besoin d’admiration dans l’homme suppose au-dessus de nous une source inépuisable de cette même admiration qui est notre aliment de première nécessité ». […] Quand on la contemple dans ses détails, on voit que, quoiqu’elle frappe à la fois sur tous les ordres de la France, il est bien clair qu’elle frappe encore plus fortement sur le clergé… Plein de respect pour l’idée de sacerdoce, qui est à ses yeux peut-être la plus haute de toutes, Saint-Martin trouve tout simple que les individus de cet ordre aient été les premiers atteints et châtiés, de même que cette « révolution du genre humain » a commencé par les « lys » de France : « Comme aînés, dit-il, ils devaient être les premiers corrigés. » Je ne fais qu’indiquer ces manières de voir qui nous sont devenues depuis lors familières par le langage si net et si éclatant de M. de Maistre ; mais Saint-Martin y mêle des idées et des sentiments qui lui sont propres et qui ont beaucoup moins de netteté. […] Cette cérémonie me causa beaucoup d’attendrissement et me parut propre à opérer, même sur les gens âgés, de très salutaires impressions.

594. (1870) Causeries du lundi. Tome XIII (3e éd.) « Histoire de la querelle des anciens et des modernes par M. Hippolyte Rigault — II » pp. 150-171

n’osez-vous hasarder votre suffrage sur la foi de vos propres lumières ? […] Souffle, véhémence, torrent, abondance, grandeur, feu et richesse, voilà les caractères continus de L’Iliade, que Pons ni La Motte ne soupçonnaient pas : On ne saurait dire, prétendait l’abbé de Pons, qu’une langue soit moins propre qu’une autre à la vraie peinture des pensées et des sentiments. […] L’abbé de Pons est un des premiers écrivains qui s’annoncent comme pouvant être plus sérieux et de plus longue haleine que l’écrivain de gazette et de journal, n’allant pas tout à fait jusqu’au livre, mais très propre à cette littérature d’entre-deux et de recueil périodique. […] Ami de la propriété des termes, de l’ordre logique et direct dans le langage, il se disait que l’esprit n’a ses coudées franches et son juste instrument que dans la prose ; « qu’elle seule a droit sur tous genres d’ouvrages indistinctement ; qu'elle a seule l’usage libre de toutes les richesses de l’esprit ; que, n’étant asservie à aucun joug, elle ne trouve jamais d’obstacles à exprimer ce que le génie lui présente ; qu’elle n’est jamais forcée de rejeter les expressions propres et les tours uniques que demandent les idées successives et les sentiments variés que ses sujets embrassent. » Mais, avec les vers, il faut toujours faire quelque concession, quelque sacrifice, tantôt pour la clarté, tantôt pour l’élégance, ces deux qualités dont la prose est toujours comptable : « Quand une pensée se trouve, à quelque chose près, aussi bien exprimée en vers qu’elle pourrait l’être en prose, on applaudit au succès du poète, on lui voue son indulgence, on lui permet de grimacer de temps à autre ; les expressions impropres sont chez lui de légères fautes ; les constructions inusitées deviennent ses privilèges. » Et il en citait des exemples jusque dans Boileau. […] Elle est toute moderne, très sensée à bien des égards, très propre en effet à former un galant homme.

595. (1863) Nouveaux lundis. Tome I « Benjamin Constant. Son cours de politique constitutionnelle, ou collection de ses divers écrits et brochures avec une introduction et des notes, par M. Laboulaye »

Laboulaye, l’estimable introducteur et commentateur, qui se plaît à retrouver dans ces écrits ses principes et sa propre doctrine, est un homme de l’école américaine, à prendre le mot dans le meilleur sens ; il est sincèrement d’avis que la liberté en tout, le laisser dire, le laisser faire, le laisser passer, est chose efficace et salutaire ; qu’en matière de religion, d’enseignement, de presse, d’industrie et de commerce, en tout, la liberté la plus entière amènerait les résultats en définitive les meilleurs, et que le bien l’emporterait sur le mal ; il pense que cela est également vrai chez toute nation civilisée et à tous les moments. […] Mais je prierai le préopinant de déclarer si, dans cet ouvrage, médité par lui avec l’intention d’employer contre moi mes propres paroles, il y a un seul mot qui tende à proposer, ou seulement à excuser la censure. […] Je désirais que la vérité seule combattît l’erreur, sûr que j’étais que la vérité triompherait par sa propre force. […] Voici une de ses phrases fameuses et du petit nombre de celles qu’on retient ; il parle, dans la préface de son livre sur la Religion, contre le principe moral de l’intérêt bien entendu : « Son effet naturel, dit-il, est de faire que chaque individu soit son propre centre. Or, quand chacun est son propre centre, tous sont isolés.

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