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1846. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « La duchesse du Maine. » pp. 206-228

Voltaire, plus vif, a parlé de lui comme d’un homme dans qui l’érudition la plus profonde n’avait point éteint le génie : Il prenait quelquefois devant Votre Altesse Sérénissime (Mme du Maine) un Sophocle, un Euripide ; il traduisait sur-le-champ en français une de leurs tragédies. […] La duchesse y fit ses débuts dans cette vie de féerie et de mythologie à laquelle elle prit tant de goût, qu’elle n’en voulut bientôt plus d’autre, et que l’idée lui vint de se mettre en possession de tout le vallon. […] M. le Duc (de Bourbon), propre frère de la duchesse du Maine, prit dans un temps un très grand goût pour elle ; ces sortes de goûts n’étaient pas rares dans la famille des Condé. […] Elle avait pris à son service, dans l’automne de 1711, à titre de femme de chambre, une personne de mérite qui n’eût été au-dessous d’aucun rang, faite pour être l’égale et la rivale des plus distinguées d’alors par l’esprit, unissant le sérieux à l’enjouement, et d’un cœur qui garda encore de son prix, même lorsqu’il se fut desséché. […] En lisant Mlle de Launay et en la suivant dans les diverses vicissitudes de sa condition servile, on se prend à répéter avec La Bruyère : L’avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit.

1847. (1857) Causeries du lundi. Tome III (3e éd.) « Œuvres de Condorcet, nouvelle édition, avec l’éloge de Condorcet, par M. Arago. (12 vol. — 1847-1849.) » pp. 336-359

Une analyse bien faite des lettres de Condorcet à Voltaire et à Turgot dégagerait de plus en plus cette veine maligne : ses jugements sur Buffon, sur le maréchal du Muy (pour prendre des noms bien opposés), et sur bien d’autres, sont imprégnés d’acrimonie et décèlent une injustice, une prévention profonde. […] S’ils ne faisaient qu’assigner les caractères généraux de la société moderne, la prédominance de la science et de l’industrie sur la guerre, une certaine égalité de culture et de bien-être pour le plus grand nombre, égalité qui doit être désormais le but principal des institutions ; s’ils ne faisaient que recommander enfin à l’humanité, qui est désormais une personne mûre, de prendre en tout l’esprit de son âge, on n’aurait guère à les contredire, et on les louerait sans réserve d’avoir été des précurseurs dans la recherche et l’indication des voies et moyens. […] Les voilà prises sur le fait les conséquences pratiques de ces fausses théories spéculatives. […] Aucune vertu, dans quelque sens qu’on prenne ce mot, ne dispense de la justice. […] Ainsi, l’on voit à la veille d’une bataille les poltrons, les traîtres ou les demi-traîtres prendre la fuite, et ceux qui restent ne s’en trouvent que plus forts.

1848. (1865) Causeries du lundi. Tome V (3e éd.) « Rivarol. » pp. 62-84

Il vise, en traduisant, à ce style soutenu déclaré impossible ; et, dans cet effort, il ne songe qu’à s’exercer, à prendre ses avantages, à rapporter quelques dépouilles, quelques trophées en ce qui est du génie de l’expression. […] Lui-même, dans des pages excellentes, en définissant l’esprit et le goût, il n’a pu s’empêcher de définir son propre goût, son propre esprit ; on ne prend jamais, après tout, son idéal bien loin de soi : L’esprit, dit-il, est en général cette faculté qui voit vite, brille et frappe. […] « Il n’y a rien dans le monde qui n’ait son moment décisif, a dit le cardinal de Retz, et le chef-d’œuvre de la bonne conduite est de connaître et de prendre ce moment. » Rivarol fait voir que, s’il exista jamais, ce moment fut manqué dès l’abord dans la Révolution française. […] Il considère la parole comme « la physique expérimentale de l’esprit », et il en prend occasion d’analyser l’esprit, l’entendement, et tout l’être humain dans ses éléments constitutifs et dans ses idées principales ; il le compare avec les animaux et marque les différences essentielles de nature : puis il se livre, en finissant, à des considérations éloquentes sur Dieu, sur les passions, sur la religion, sur la supériorité sociale des croyances religieuses comparativement à la philosophie. […] Et ici, dans une diatribe d’une verve, d’une invective incroyable, Rivarol prend à partie les philosophes modernes comme les pères du désordre et de l’anarchie, les uns à leur insu, les autres le sachant et le voulant.

1849. (1893) La psychologie des idées-forces « Tome second — Livre sixième. La volonté — Chapitre premier. Existence de la volonté »

Si, au contraire, j’ai l’idée et le désir de prendre la plume pour écrire ma signature au bas d’un contrat, la décision que je prends me paraît avoir son antécédent immédiat et suffisant dans mes états antérieurs de conscience, qui sont : 1° l’idée de tel mouvement comme moyen pour telle fin, 2° le désir de ce mouvement. […] Au lieu de prendre pour point de départ les sensations calmes et contemplatives des sens supérieurs, derniers venus dans l’évolution, il faut, au contraire, prendre pour élément primordial la sensation organique, profonde et générale, encore à peine différenciée dans des organes spéciaux. […] La volonté n’apparaît pas et n’intervient pas tout d’un coup, par des actes spéciaux et des fiat, soit pour faire attention à une idée, soit même pour prendre, comme on dit, une « détermination ». […] Quand nous voulons mouvoir notre petit doigt, dit M. de Hartmann, nous devons supposer, en sus de la volition consciente, une volonté inconsciente : la première, en effet, ne connaît pas la place du cerveau où elle peut agir, ni le moyen d’y agir pour produire le mouvement ; il faut donc qu’il y ait une volition inconsciente qui agit sur le point P du cervelet où le nerf moteur prend naissance, et, pour cela, il faut encore que cette volition ait la représentation du point P.

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