/ 3738
1842. (1895) Histoire de la littérature française « Troisième partie. Le seizième siècle — Livre I. Renaissance et Réforme avant 1535 — Chapitre II. Clément Marot »

Cependant le besoin de connaître les langues des Evangiles et de la Bible devenait plus pressant : et mettant à exécution des résolutions prises depuis assez longtemps, l’université de Paris donnait cent écus à Grégoire Tifernas en 1457 pour enseigner le grec avec la rhétorique. […] Même François Ier voulait témoigner par des effets plus solides l’intérêt que, selon son idée du prince accompli, il estimait devoir prendre aux études : il rêva des établissements fastueux, dont le malheur du temps priva la France. […] La bonne reine a pris le ton du jour, conté les récits qui plaisaient : de là non pas l’immoralité — c’est trop dire, — mais plutôt l’impudeur hardie de l’Heptaméron, et cette mixture qui nous surprend de dévotion, de gaillardise et de morale. […] Mais à quels motifs cédait cet aimable homme, quand il prenait des opinions, je ne dis pas bien dangereuses, mais surtout bien sévères pour sa gentille frivolité ? […] Il prit posture de chef d’école, et on le voit quelque part exposer gravement à ses disciples la règle des participes.

1843. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre II. Corneille »

Aussi faut-il les prendre moins comme des formules fixes de valeur constante, que comme des formules élastiques, de valeur variable, qui indiquent un idéal à poursuivre. […] Il a pris ses sujets presque exclusivement dans l’histoire, et chez les historiens : Rodogune, c’est l’Asie hellénisée des successeurs d’Alexandre ; Suréna, c’est l’empire parthe ; Pertharite, ce sont les Lombards : le Cid, don Sanche malgré leurs origines poétiques, sont encore des sujets d’histoire. […] Il fallait bien y arriver, du moment qu’on la prenait pour élément essentiel de la psychologie dramatique. […] Corneille semble établir une sorte de symbolisme conventionnel, qui fait représenter par les horreurs de la tragédie une réalité moins horrible : Suréna tué, par exemple, représentera Condé emprisonné323 ; je ne dis pas que l’auteur ait songé à Condé, mais je prends un cas entre cent autres similaires. […] Rien de plus simple que les mouvements coordonnés des caractères qui s’opposent : qiu’on regarde, si l’on veut, les relations d’Attale et de Nicomède, et l’évolution du caractère d’Attale, soit en lui-même, soit dans l’opinion que Nicomède en prend, il y a aussi du mouvement dans chaque caractère, grâce au déplacement de la volonté qui suit la raison : je n’en veux pour exemple que Polyeucte et Pauline, et surtout cet admirable Auguste.

1844. (1890) L’avenir de la science « XIX » p. 421

Quelques-uns même (Théodoric, Chilpéric, etc.) y prirent goût avec une facilité et une promptitude qui étonnent. […] Qui ne serait profondément touché en voyant l’intérêt que nos classes ignorantes prennent à cette civilisation qui est là au milieu d’eux, non pour eux ? […] L’enseignement est maintenant le recours presque unique de ceux qui, ayant la vocation des travaux de l’esprit, sont réduits par des nécessités de fortune à prendre une profession extérieure ; or l’enseignement est très préjudiciable aux grandes qualités de l’esprit ; l’enseignement absorbe, use, occupe infiniment plus que ne ferait un métier manuel. […] Ce qui fait que le plaisir est pour nous une chose tout à fait profane, c’est que nous le prenons comme une jouissance personnelle ; or la jouissance personnelle n’a absolument aucune valeur suprasensible. […] Ce qu’il faut dans un tel état, c’est la plus grande variété possible entre les individus ; car chaque originalité c’est l’esquisse d’un aspect des choses ; c’est une façon de prendre le monde.

1845. (1857) Causeries du lundi. Tome II (3e éd.) « L’abbé Galiani. » pp. 421-442

Galiani avait écouté patiemment toute cette dissertation intrépide ; enfin, lassé de voir tout ce monde ne prendre qu’un seul côté de la question, il dit : Messieurs les philosophes, vous allez bien vite. […] Après le dîner, et le café pris, l’abbé s’assied dans un fauteuil, ses jambes croisées en tailleur, c’était sa manière ; et, comme il faisait chaud, il prend sa perruque d’une main, et gesticulant de l’autre, il commence à peu près ainsi : « Je suppose, messieurs, celui d’entre vous qui est le plus convaincu que le monde est l’ouvrage du hasard, jouant aux trois dés, je ne dis pas dans un tripot, mais dans la meilleure maison de Paris, et son antagoniste amenant une fois, deux fois, trois fois, quatre fois, enfin constamment, rafle de six. […] Voilà bien nos philosophes pris sur le fait, les voilà, comme tous les épicuriens du monde, faisant des questions les plus graves de la destinée et de la morale humaine un spectacle, une pure joute de loisir où le pour et le contre se traitent également à la légère, et tout étonnés ensuite (je parle de ceux qui survécurent, comme l’abbé Morellet) si, un jour, toutes ces théories de huis clos viennent à éclater, et, en tombant dans la rue, à se résumer sur la place de la Révolution dans les fêtes de la Raison et autres déesses. […] Galiani avait pris à dessein cette forme du dialogue, comme plus française : « Cela est naturel, disait-il ; le langage du peuple le plus social de l’univers, le langage d’une nation qui parle plus qu’elle ne pense, d’une nation qui a besoin de parler pour penser, et qui ne pense que pour parler, doit être le langage le plus dialoguant. » Quant au fond, en combattant les idées absolues et les raisonnements des économistes, Galiani visait à faire entrevoir les idées politiques qui doivent régir et dominer même ces matières. […] Ce qu’on sent trop d’ailleurs dans ces Dialogues, et ce que Galiani a pris soin plus tard de nous confirmer en toutes lettres, c’est que son Chevalier Zanobi, qui représente l’auteur, « ne croit ni ne pense un mot de tout ce qu’il dit ; qu’il est le plus grand sceptique et le plus grand académique du monde ; qu’il ne croit rien en rien, sur rien de rien ».

/ 3738