Mon très digne ami, j’ai fait toutes les diligences possibles pour vous assurer des indices de vos effets. […] Vous augmenteriez ma reconnaissance s’il était possible d’y ajouter quelque chose. […] Elle m’a écrit une lettre si honnête sur mon retour dans ma patrie, que je crois qu’elle imagine de me tourner la tête de toutes les manières possibles. […] Je voudrais, s’il était possible, aller boire un punch avec vous tous ; ensuite nous promener dans votre capitale qui va croissant et s’embellissant chaque jour. […] J’en ai payé tous les frais de port et de commission jusqu’au vaisseau, et vous acquitterez, s’il vous plaît, ceux de port de Rouen à Pétersbourg qui montent à 2 florins et quelques sols de fret suivant le connaissement, ne m’ayant pas été possible de vous épargner cette petite dépense, ou plutôt n’y ayant pensé qu’après coup89.
L’homme n’étant point un individu isolé et solitaire, et devant toujours vivre au sein de la société, il en résulte que sa puissance et ses développements possibles sont dans la société ; il en résulte encore que la société est souvent un supplément à l’imperfection de ses organes ; il en résulte enfin que la plupart des instincts mêmes de l’homme, si une telle expression est permise, sont placés hors de lui, se trouvent dans la société, ce qui nous ramène encore une fois à cette doctrine de la solidarité, doctrine qui serait ici susceptible de sortir de l’ordre des vérités spéculatives pour entrer dans l’ordre des vérités d’expérience, pour prendre rang parmi les faits historiques. […] Serait-il même possible d’inventer une langue sans inventer en même temps l’écriture, et l’invention de l’écriture peut-elle accompagner l’invention du langage ? […] Toutefois Smith n’a pas vu la difficulté où elle est réellement : ce n’est point avec l’analyse philosophique que l’on peut y parvenir, car Smith a fait, à mon avis, par le moyen de cette analyse, tout ce qu’il était possible de faire. […] Or l’histoire du genre humain nous prouve que l’homme n’a jamais été un instant orphelin ; elle nous prouve que l’organisation des premières sociétés fut très forte ; elle nous prouve que les langues ont toujours été douées des mêmes formes, et qui sont la preuve du plus haut déploiement possible de l’intelligence humaine. […] Enfin encore, a-t-on assez réfléchi à cette force qui est dans les langues et qui fait la certitude de la science étymologique, certitude qui est toute de tact, où l’erreur n’est à craindre que lorsqu’on se laisse entraîner par l’esprit de système, où elle ne sera plus même possible si l’on parvient à déterminer la filiation des langues, parce que alors on ne courra plus le risque d’appliquer les mêmes raisons et les mêmes règles à des familles différentes de langues ?
Toutefois, des cas exceptionnels se présentent où nous nous proposons d’apprendre une leçon compliquée en vue d’un rappel instantané et, autant que possible, machinal. […] Et l’artifice consiste à faire évoluer l’esprit, le plus possible, parmi des images de sons ou d’articulations, sans qu’interviennent des éléments plus abstraits, extérieurs au plan des sensations et des mouvements. […] Concevrait-on, d’ailleurs, que l’interprétation fût possible si nous allions réellement des mots aux idées ? […] Mais, d’abord, le schéma dont nous parlons n’a rien de mystérieux ni même d’hypothétique ; il n’a rien non plus qui puisse choquer les tendances d’une psychologie habituée, sinon à résoudre toutes nos représentations en images, du moins à définir toute représentation par rapport à des images, réelles ou possibles. C’est bien en fonction d’images réelles ou possibles que se définit le schéma mental, tel que nous l’envisageons dans toute cette étude.
Boissonade sous d’aussi larges aspects, le montrer aussi ouvert et aussi hardi de vues qu’on le fait ici ; il avait réellement un peu peur, quoi qu’on puisse dire, des idées générales et de tout ce qui y ressemble, il s’en garait et s’en abstenait le plus possible ; on l’aurait bien étonné si on lui avait dit « qu’il préparait l’avènement de la presse philosophique » ; il avait, moins que personne, « de ces lueurs qui semblent des anticipations de l’avenir. » Tout cela est à côté et au-delà. […] Ce ne fut que plus tard qu’il dirigea et procura, dans la Collection Lefèvre, la jolie édition des poètes grecs, surveillant, corrigeant le texte, et n’y mettant d’ailleurs que le moins de notes possible. […] Je m’applique ce vers de l’Œnomaus d’Euripide : L’ homme qui fait le plus de choses est celui qui fait le plus de fautes. » Il a renouvelé plus explicitement encore, s’il est possible, les mêmes aveux, les mêmes témoignages d’humilité dans la préface mise en tête d’un de ces auteurs des bas temps qu’il éditait pour la première fois, préface très joliment traduite par M. […] Et après cela, après tout hommage rendu à la fleur des érudits, au savant aimable et délicat, je m’adresserai aux nouveaux, à ceux qui s’élèvent : Jeunes érudits et savants qui lui succédez, vous le savez mieux que moi, si vous voulez maintenir l’Antiquité à son rang, dans toute son estime, et intéresser à elle les esprits des générations présentes et prochaines, ce n’est pas en l’abordant désormais à la Boissonade et en vous attaquant isolément à des points imperceptibles, c’est en traitant les questions qui la concernent, dans toute leur précision sans doute, mais aussi dans toute leur étendue et leur généralité, et en rattachant les anciens le plus possible au train moderne par une anse moderne aussi, par quelque agrafe puissante, en leur demandant tout ce qui se rapporte chez eux à l’histoire des idées, des mythes, des religions, de l’art, de la police et de la constitution des sociétés, à la marche enfin et au progrès de l’esprit humain et de la civilisation elle-même.