Il me découvrait les nids d’où il avait vu s’envoler les mères sur les buissons du champ ; souvent il me remettait pour un moment sa longue gaule de noisetier, armée à l’extrémité d’un aiguillon, et je touchais à sa place les flancs fumeux de l’attelage, en appelant chacun de ses bœufs par leur nom, et en imitant, autant qu’il m’était possible, la voix criarde et traînante du bouvier qui gouverne la charrue. […] est-ce bien possible, se disaient tout bas les garçons en retenant leur rire, que ce pauvre Didier, qui n’a jamais dit un mot plus haut que l’autre, chante aujourd’hui comme un ménétrier qui s’en retourne de la fête ?
Il leur était permis de l’observer plus à l’aise et plus fréquemment que cela n’était possible au temps d’Hiram ou des Ptolémées, sous la domination romaine et sous celle des Arabes, quand on était borné à la mer Rouge ou à l’océan Indien, c’est-à-dire à l’espace compris entre le détroit de Bab-el-Mandeb et la presqu’île occidentale de l’Inde. […] On ne pouvait le comparer qu’à celui de Vénus, quand elle est le plus près possible de la Terre (alors un quart seulement de sa surface est éclairé pour nous).
On songe au Ve livre de Lucrèce ; puis on se dit qu’il y a là autre chose encore qu’une intuition de poète, que la science contemporaine, l’archéologie, l’anthropologie, ont seules rendu possibles de pareilles résurrections, et que, de toutes façons, un tel poème sonne glorieusement l’heure exacte où nous sommes. […] Qu’il y ait quelque affectation dans ce détachement du poète, dans cette indifférence finale pour tout ce qui n’est pas un spectacle aux yeux, cela est possible, et je ne songe point à lui en faire un reproche.
Je n’atténue rien, et je transcris, autant que, possible, les expressions mêmes du grand historien philosophe. […] C’est possible : après tout, elle avait aimé l’homme et pouvait s’en ressouvenir quelquefois ; et, d’autre part elle ne pouvait pas ne pas admirer l’empereur.