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1087. (1834) Des destinées de la poésie pp. 4-75

Il n’y a plus de bonne foi dans ses plaisirs. […] C’est une femme qui parle : Quand assise à douze ans à l’angle du verger, Sous les citrons en fleurs ou les amandiers roses, Le souffle du printemps sortait de toutes choses, Et faisait sur mon cou mes boucles voltiger, Une voix me parlait si douce au fond de l’âme, Qu’un frisson de plaisir en courait sur ma peau ; Ce n’était pas le vent, la cloche, le pipeau, Ce n’était nulle voix d’enfant, d’homme ou de femme ; C’était vous ! […] Je me coucherais dès aujourd’hui avec plaisir dans le lit de mon sépulcre ; mais j’ai toujours demandé à Dieu de ne pas mourir sans avoir révélé à lui, au monde, à moi-même, une création de cette poésie qui a été ma seconde vie ici-bas ; de laisser après moi un monument quelconque de ma pensée ; ce monument, c’est un poème ; je l’ai construit et brisé cent fois dans ma tête, et les vers que j’ai publiés ne sont que des ébauches mutilées, des fragments brisés de ce poème de mon âme. […] Ils m’ont rendu bien au-delà de ce que je leur ai donné : je ne sais quel poète disait, qu’une critique lui faisait cent fois plus de peine que tous les éloges ne pourraient lui faire de plaisir.

1088. (1895) Histoire de la littérature française « Quatrième partie. Le dix-septième siècle — Livre II. La première génération des grands classiques — Chapitre III. Pascal »

L’individu suit sa passion, cherche son plaisir, rejetant toute règle : et quelle règle plus gênante que la règle chrétienne ? […] Le cartésianisme fit des chrétiens apparents, en faisant des philosophes qui croyaient à Dieu, à l’âme immortelle, à la supériorité infinie de la nature spirituelle sur la nature corporelle (ce qui établissait une hiérarchie très nette des plaisirs). […] En vivant chrétiennement on risque infiniment peu, quelques années de plaisir mêlé, pour gagner l’infini, la joie éternelle. […] On a embrouillé à plaisir le dessein de Pascal, et l’on y a cherché des difficultés, des contradictions qui n’y sont pas.

1089. (1900) La méthode scientifique de l’histoire littéraire « Troisième partie. Étude de la littérature dans une époque donnée causes et lois de l’évolution littéraire — Chapitre VII. La littérature et les conditions économiques » pp. 157-190

Molière écrit pour les plaisirs de Sa Majesté des pastorales médiocres et des farces immortelles qui s’appellent l’Impromptu de Versailles ou le Bourgeois gentilhomme. […] Un seigneur eut l’idée d’épouser une Philis de village et les deux époux, la houlette à la main, prirent plaisir à garder les troupeaux dans le parc de leur château. […] La mort même, qui empoisonne tant de plaisirs, n’y offre que des perspectives consolantes. […] Ce n’est pas en vain que l’instruction s’est répandue : le nombre des gens capables de goûter et de payer un plaisir littéraire s’est accru immensément et les écrivains ont aujourd’hui ce double avantage de gagner plus qu’autrefois et d’avoir une dette moins lourde à porter envers la foule inconnue qui leur fournit leurs ressources.

1090. (1908) Dix années de roman français. Revue des deux mondes pp. 159-190

Tandis qu’ils se livrent au démon intérieur qui fixe à leur activité un but, une pensée d’apostolat, de solidarité ou d’enseignement, d’autres, très nombreux, continuent à n’écrire que pour faire œuvre d’art, à ne conter que pour le plaisir de conter. […] Celui-ci pourrait bien figurer comme le principal aujourd’hui, et le plus remarquable d’entre les auteurs qui écrivent surtout pour le plaisir de conter, et pour lesquels les mœurs des temps abolis, — ou même celles de l’heure présente, — servent de canevas ingénieux à des aventures narrées avec saveur, dans une langue rehaussée d’archaïsmes et entremêlée de tournures un peu « rococo », très coquettement rajeunies. […] Bréot, dans la Double maîtresse, dans le Mariage de minuit, dans le Passé vivant ou dans le Bon plaisir. […] On devine qu’il écrit pour son plaisir propre.

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