Examinez toutefois les chefs-d’œuvre poétiques et oratoires, vous serez convaincus qu’ils sont les fruits d’un travail réfléchi, de l’expérience acquise du cœur humain, d’une profonde connaissance des mœurs, d’une philosophie éclairée sur le jeu des passions, d’un effort continuel du talent à bien accorder les expressions aux convenances, d’une délicatesse habituelle à nuancer les variétés des sons dans les paroles, et à disposer harmonieusement la cadence et la chute des phrases. […] Tout y est défini, lié, rangé convenablement, et bien assorti : rien ne manquerait aux leçons qu’il y joint sur l’arrangement des mots, sur la structure des phrases, sur la beauté des tours, enfin sur toutes les formes du style, si celui de l’auteur n’était, dans ce traité même, trop nu, trop sec, et trop austère. […] Pascal va le premier vous répondre ; il va, d’une seule phrase, vous manifester celle qui tient à la grandeur de l’esprit. […] que ce qu’il entend par médiocrité est le composé de mille qualités dignes de louange, telles que la souplesse, la grâce d’esprit, le nombre dans les phrases, l’économie, l’élégance fleurie et variée, une certaine noblesse de langage et un sel plaisant qui assaisonne la raillerie, en un mot tout ce qui s’appelle le talent : mais il lui préfère la noble aisance du génie, sa fougue libre et impétueuse, qui s’élance sur des pas glissants, il est vrai, et qui tombe en des écarts, parce qu’elle hasarde ce que le médiocre esprit n’ose jamais tenter ; mais qui, dans sa périlleuse course, entraîne tout avec elle, et se relève après ses fautes, pour étonner et foudroyer l’auditeur par des éclairs qu’il ne peut regarder fixement sans en être ébloui. […] Les sons dominants qui se succèdent dans une phrase musicale sont ceux qui portent à l’oreille l’impression distincte de la mélodie que la complication des accords détruirait, si le ton ne s’en détachait pas sur l’harmonie pour faire saisir ses seules modulations.
C’est ce moment que Byron choisit pour louer Voltaire et Rousseau, admirer Napoléon1250, s’avouer sceptique, réclamer pour la nature et le plaisir contre le cant et la règle, dire que la haute société anglaise, toute débauchée et hypocrite, fabrique des phrases et fait tuer des hommes pour garder ses sinécures et ses bourgs pourris. […] Il aime la forme oratoire, la phrase symétrique, le style condensé. […] Non, cet homme n’est point un arrangeur d’effets ou un faiseur de phrases. […] Dès l’abord, il les avait vus ; les vrais artistes sont perspicaces ; c’est en cela qu’ils nous surpassent ; nous jugeons d’après des ouï-dire et des phrases toutes faites, en badauds ; ils jugent d’après les faits et les choses, en originaux : à vingt-deux ans il avait vu l’ennui né de la contrainte désoler toute la high life. « Là se tient debout la noble hôtesse, qui restera sur ses jambes — même à la trois-millième révérence. — Les ducs royaux, les dames grimpent l’escalier encombré, et à chaque fois avancent d’un pouce1297. » — « Il faut aller voir à la campagne, écrivait-il, ce que les journaux appellent une compagnie choisie d’hôtes de distinction, notamment les gentlemen après dîner, les jours de chasse, et la soirée qui suit, et les femmes qui ont l’air d’avoir chassé, ou plutôt d’avoir été chassées… Je me rappelle un dîner à la ville chez lord C…, composé de gens peu nombreux, mais choisis entre les plus amusants.
. — Vous m’avez écrit une lettre où il y a des phrases charmantes ; mais nous ne nous entendons pas. […] Peu de gens savent comme vous que la brièveté veut souvent une phrase longue, et que la méthode des phrases courtes est souvent celle de la prolixité. […] Qu’il se demande si la phrase qu’il vient d’écrire est italienne ; comment pourra-t-il faire une réponse assurée à une question qui n’est pas précise ? […] Je ne sais si je me trompe, mais il me semble que cette phrase sur M. de Chateaubriand, jetée dans une lettre familière et presque intime, jetée là à la fin et comme une pensée à laquelle on revient, témoigne, même sous sa réserve. un intérêt réel et senti, une préoccupation tout aimable. — Puis, quand le Génie du Christianisme parut, Mme de Staël fut à la fois surprise en un double sens, en bien et en mal ; elle y trouva plus de vigueur encore et de hautes qualités qu’elle n’avait attendu, au moins dans l’épisode de René, qu’elle admirait extrêmement ; et d’autre part, elle était fort choquée de certaines considérations qui lui paraissaient un défi porté à l’esprit du temps : « M. de Chateaubriand, disait-elle, a un chapitre intitulé Examen de la virginité sous ses rapports poétiques ; n’est-ce pas trop compter, même dans ces temps malheureux, sur le sérieux des lecteurs ? […] La phrase de ce dernier était tout simplement abondante, parce que sa pensé l’était aussi.
Ce talent est reconnu de ceux qui le jugent avec le plus de rigueur ; mais, en s’appesantissant sur les défauts qu’on remarque dans quelques phrases, ils ont passé bien légèrement sur les beautés qui éclatent dans des livres entiers. […] La première est sentencieuse, et revient aux mêmes locutions pour exprimer des choses nouvelles ; la seconde aime à s’étendre en paroles, et répète souvent, dans les mêmes phrases, ce qu’elle vient déjà de dire. […] Tantôt les membres de la phrase se brisent, et, par leurs irrégularités, imitent la marche interrompue, les brusques évolutions, et le choc tumultueux des divers corps. La phrase, en un mot, est toujours d’accord avec ce qu’elle doit exprimer. […] Les critiques remarquèrent justement l’emphase et l’obscurité de quelques phrases de cet éloge.