Or, sans faire d’hypothèse gratuite, sans demander aux hommes plus que leur siècle ne comporte, on conçoit, ce me semble, dans cette atmosphère de souvenirs et d’affections, une âme tendre, chaste, austère, effrayée de la contagion croissante et du débordement philosophique, fidèle au culte de la monarchie de Louis XIV, assez éclairée pour dégager la religion du jansénisme, et cette âme, alarmée, avant l’orage, de pressentiments douloureux, et gémissant avec une douceur triste ; quelque chose en un mot comme Louis Racine, d’aussi honnête, et de plus fort en talent et en lumières. […] Mêlé toute sa vie aux querelles littéraires, salué, comme Crébillon, du nom de grand par Des Fontaines, Le Franc et la faction anti-voltairienne, Rousseau avait perdu sa réputation à mesure que la gloire de son rival s’était affermie et que les principes philosophiques avaient triomphé ; il avait été même assez sévèrement apprécié par la Harpe et Le Brun.
Il y aurait fort à dire sur le dessein philosophique de l’essai : Mme de Staël entreprend de prouver, ou du moins affirme avec constance que la liberté, la vertu, la gloire, les lumières ne sauraient exister isolément : elle tient pour acquis que les grandes époques littéraires sont des époques de liberté. […] Elle écrit, au début de sa Littérature ces lignes funestes: « L’égalité politique, principe inhérent à toute constitution philosophique, ne peut subsister que si vous classez les différences d’éducation avec encore plus de soin que la féodalité n’en mettait dans ses distinctions arbitraires ».
Cette dernière manière, qui se pique d’être beaucoup plus philosophique et plus logique, me semble beaucoup moins rabelaisienne1 Le jeune auteur de la brochure dont j’ai parlé en commençant, M. […] J’avais alors un souverain mépris pour Rabelais. » Dans ses Lettres philosophiques, il a parlé de lui très légèrement en effet, en le mettant au-dessous de Swift, ce qui n’est pas juste : « C’est un philosophe ivre, concluait-il, qui n’a écrit que dans le temps de son ivresse. » Mais, vingt-cinq ans plus tard, il lui a fait réparation en écrivant à Mme Du Deffand : J’ai relu, après Clarisse, quelques chapitres de Rabelais, comme le combat de frère Jean des Entommeures et la tenue du conseil de Picrochole ; je les sais pourtant presque par cœur, mais je les ai relus avec un très grand plaisir, parce que c’est la peinture du monde la plus vive.
Victor Hugo, le maître des constructions verbales, le rhéteur génial du rythme et du mot, offre un spectacle plus pénible par l’importance qu’il attache à la médiocrité de sa pensée philosophique ou politique. […] Lemaître a énuméré les snobismes littéraires : et il nous a montré les snobs, à commencer par les Précieuses de l’Hôtel de Rambouillet, s’assemblant successivement autour de diverses modes de l’esprit, — autour d’une théorie, avec la règle des trois unités faussement attribuée à Aristote, avec le naturisme de Rousseau, avec le pessimisme de Schopenhauër, — autour d’une école d’art, avec l’engouement pour les préraphaélites, pour Botticelli, pour John Bums, — autour d’une nouveauté littéraire ou philosophique, avec l’intellectualisme, le culte du moi, l’occultisme, le symbolisme.