De là il s’ensuit d’abord que tout dictionnaire de langue dans lequel chaque mot sans exception sera défini, est nécessairement un mauvais dictionnaire, et l’ouvrage d’une tête peu philosophique. […] Les racines philosophiques étant ainsi trouvées, il sera bon de les marquer dans le dictionnaire par un caractère particulier. […] Concluons de tout ce que nous venons de dire, qu’un bon dictionnaire de langue est proprement l’histoire philosophique de son enfance, de ses progrès, de sa vigueur, de sa décadence. […] Il a varié son style selon les matières qu’il traitait ; ses harangues diffèrent beaucoup, par la diction, de ses livres sur la rhétorique ; ceux-ci, de ses ouvrages philosophiques ; et tous diffèrent extrêmement de ses épîtres familières. […] Dans ces éloges on détaille toute la vie d’un académicien, depuis sa naissance jusqu’à sa mort ; on doit néanmoins en retrancher les détails bas, puérils, indignes enfin de la majesté d’un éloge philosophique.
Saint-Martin répondit par une Lettre qui est une pièce importante, et qui aurait pu porter pour épigraphe cette pensée de lui : J’ai vu la marche des docteurs philosophiques sur la terre, j’ai vu que, par leurs incommensurables divagations lorsqu’ils discutaient, ils éloignaient tellement la vérité, qu’ils ne se doutaient seulement plus de sa présence ; et, après l’avoir ainsi chassée, ils la condamnaient par défaut. […] Dans le cours de cette même année (1795), Saint-Martin publia sa Lettre à un ami, ou Considérations politiques, philosophiques et religieuses sur la Révolution française, avec cette épigraphe tirée des Nuits d’Young : « Le ciel dispose toutes choses pour le plus grand bien de l’homme. » Cette brochure fut peu lue ; mais, éclairée pour nous aujourd’hui par le livre des Considérations de M. de Maistre, elle a une grande valeur comme indication et comme présage ; il n’en faut point séparer l’Éclair sur l’association humaine, qui parut deux ans après (1797). […] Ce qu’il appelle l’âme même n’y suffit pas : il faut un effort philosophique qui laisse souvent le lecteur à moitié du chemin. Mais ce que je désirerais vivement, c’est que le manuscrit que j’ai sous les yeux, Mon portrait historique et philosophique, qui n’a été imprimé que tronqué et très incomplet, s’imprimât dans toute sa suite (à part huit ou dix pensées qu’il faudrait absolument retrancher comme étant de trop mauvais goût) ; on aurait alors un Saint-Martin à l’usage de tout le monde, à l’usage de ceux qui hantent Gui Patin comme de ceux qui lisent Platon ; un peu singulier, un peu naïf, agréable, touchant, élevé, communicatif, parfois bien crédule, nullement dangereux : on aurait enfin ce qui plaît toujours dans un auteur et ce qu’on aime à y rencontrer, un homme et un homme simple.
Lenient, De la Satire en France ou de la Littérature militante au xvie siècle (1866) ; mais surtout la forme nouvelle de la satire philosophique, politique, morale, y est suivie de près dans les œuvres de Du Bellay, Ronsard, Grévin, Jean de La Taille, Rapin, Passerai, d’Aubigné, jusqu’à Vauquelin de La Fresnaye et Mathurin Régnier. […] Anatole de Montaiglon, a pu dire : « Le Roman de la Rose, qui n’était d’abord qu’une glose le l’Art d’aimer d’Ovide, vint apporter un élément nouveau, un nouveau contingent dans la poésie française : l’allégorie philosophique. La verve satirique de certains détails de la seconde partie, l’audace philosophique de quelques conceptions surajoutées à l’idée première, contribuèrent à répandre ce poème, et, comme la popularité en fut énorme, disproportionnée, toute la poésie se jeta sur cette nouveauté, qui atteignit même le théâtre en y créant le genre insipide des moralités et soties. […] La subtilité abstraite et philosophique régnait alors au Palais et dans l’Église ; elle s’étendit à la poésie, où elle prit la première place.
Esprit à la fois philosophique et littéraire, il se voua dès lors à l’analyse des langues et de la sienne en particulier. […] Il aborde, en finissant, la grande et nouvelle passion qui a produit la fièvre nationale et le délire dont la France a été saisie : c’est la passion philosophique, le fanatisme philosophique. […] Mais aussi ce qui honore en Rivarol l’intelligence et l’homme, c’est qu’il s’élève du milieu de tout cela comme un cri de la civilisation perdue, l’angoisse d’un puissant et noble esprit qui croit sentir échapper toute la conquête sociale : « Malgré tous les efforts d’un siècle philosophique, dit-il, les empires les plus civilisés seront toujours aussi près de la barbarie que le fer le plus poli l’est de la rouille ; les nations comme les métaux n’ont de brillant que les surfaces. » Il y a des moments où, porté par le mouvement de son sujet et par l’impulsion de la pensée sociale, il va si haut, qu’on se demande si c’est bien Rivarol qui écrit, le Rivarol né voluptueux avant tout et délicat, et si ce n’est pas plutôt franchement un homme de l’école religieuse : Le vice radical de la philosophie, c’est de ne pouvoir parler au cœur.