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1139. (1805) Mélanges littéraires [posth.]

Un bon écrivain, un philosophe qui fait un dictionnaire de la langue, prévoit toutes ces révolutions ; le précieux, l’impropre, l’obscur, le bizarre, l’entortillé, choquent la justesse de son esprit ; il démêle dans les façons de parler nouvelles, ce qui enrichit réellement la langue, d’avec ce qui la rend pauvre et ridicule ; il conserve et adopte l’un, et fait main-basse sur l’autre. […] Un ouvrage fait dans ce goût pourra joindre au titre de dictionnaire celui de raisonné, et ce sera un avantage de plus : non seulement on saura assez exactement la grammaire de la langue, ce qui est assez rare, mais ce qui est plus rare encore, on la saura en philosophe. […] Les philosophes de chaque nation seraient peut-être inconciliables là-dessus : que serait-ce s’il fallait concilier les nations entières ? […] Cependant ils pouvaient se convaincre, dans les ouvrages même de leurs philosophes, par exemple dans ceux de Platon et dans plusieurs autres, que l’éloquence était applicable à des matières purement spéculatives. […] L’estime raisonnée d’un philosophe honore plus les grands écrivains, que toute la prévention des pédants.

1140. (1867) Causeries du lundi. Tome VIII (3e éd.) « Le cardinal de Bernis. (Fin.) » pp. 44-66

Si vous me connaissiez davantage, vous sauriez que je suis arrivé en place philosophe, que j’en suis sorti plus philosophe encore, et que trois ans de retraite ont affermi cette façon de penser au point de la rendre inébranlable.

1141. (1869) Causeries du lundi. Tome IX (3e éd.) « Duclos. — II. Duclos historien » pp. 224-245

il n’appartient qu’aux philosophes d’écrire l’histoire. […] Duclos, qui est philosophe et qui méprise l’astrologie, dit en deux mots : « L’on prédit, suivant l’usage, beaucoup de choses vagues, et flatteuses pour le prince régnant. » Je n’ai pas grand regret à la suppression du détail de l’horoscope ; mais, comme Duclos appliquera presque partout cette méthode de suppression et retranchera les détails qui peignent le temps, il en résulte à la longue maigreur et sécheresse, tandis que l’abbé Le Grand, qui ne songe qu’à raconter fidèlement et non à peindre, se trouve présenter un récit qui a plus de corps et de substance, et qui est nourri de ces choses particulières que l’esprit aime à saisir.

1142. (1870) Causeries du lundi. Tome X (3e éd.) « Sénac de Meilhan. — II. (Fin.) » pp. 109-130

La question qui se présente aujourd’hui au philosophe est de savoir si l’on peut suivre une marche rétrograde, passer d’un régime absolu à celui de la liberté, de la hiérarchie des rangs à l’égalité toujours combattue par la richesse, qui n’aspire pas moins aux distinctions qu’aux jouissances. […] Le caractère d’Aladin et ses nobles imprudences de conduite ont leur contrepoids et leur correctif dans la sagesse d’un vieux moine philosophe, le Kalender : Le Kalender avait beaucoup vu, beaucoup observé, méprisait les hommes et s’en accommodait ; il ne connaissait point de vérité absolue, ne trouvait rien de grand, ni de vil, ni de petit… Jamais il ne faisait de reproches sur ce qu’on aurait dû faire : il prenait les choses où elles en étaient, et les hommes comme ils étaient… Il ne donnait point de conseils, mais quelquefois des avis… Jamais il ne raisonnait contre les passions, mais il prouvait souvent qu’on n’avait pas de passion.

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