Et, chose remarquable du plus rocailleux de nos poètes, l’impression dernière qui nous reste des vers de Rhadamiste et Zénobie, est une impression d’harmonie : tant il est vrai que cette qualité, au lieu d’être un don personnel, est l’effet nécessaire de toutes les autres qualités du langage réunies. […] Ces deux grands poètes n’ont pas seulement le style de leurs sujets, ils ont un style personnel, et ce style c’est leur âme.
II Après avoir dit cela, ce n’est pas nous qui affirmerons que la poésie des Fleurs du mal est de la poésie personnelle. […] Elle devient, non pas individuelle, suivant la prédiction un peu hasardeuse de l’auteur de Jocelyn, mais personnelle, si nous sous-entendons que l’âme du poète est nécessairement une âme collective, une corde sensible et toujours tendue que font vibrer les passions et les douleurs de ses semblables.
Il n’y a pas — je ne veux pas dire de phobie, il faut éviter le néologisme — il n’y a pas d’horreur — et cela suffit bien, n’est-ce pas plus grande que celle de La Fontaine pour ses anciens professeurs, ou pour les professeurs en général, car il se garde très bien de faire de la littérature personnelle à cet endroit ; mais enfin il marque, pour la gent pédante, des sentiments qui semblent bien indiquer des souvenirs qui ne sont pas très gais. […] Le soupir de satisfaction que je viens de pousser ne m’est pas personnel, c’est La Fontaine qui l’a poussé dans une épigramme très célèbre, un peu dure, que je ne tiens pas à reproduire….
Si l’on accepte cette autre définition du romantisme, que je considère du reste comme radicalement fausse, si l’on accepte cette définition du romantisme que le romantisme c’est la prédominance de la littérature personnelle, si l’on dit que le romantisme c’est une littérature où le poète, où l’auteur quel qu’il soit, nous fait ses confidences, nous parle de lui, si l’on dit que le romantique est un monsieur qui parle toujours de lui, La Fontaine est plus romantique que jamais ; car il est, à travers tout le dix-septième siècle, l’un des deux hommes vous allez voir quel est l’autre l’un des deux hommes qui a le plus parlé de lui, qui s’est le plus versé, lui et ses sentiments domestiques, vous l’avez vu, conjugaux ou extra-conjugaux, qui s’est le plus versé dans ses œuvres. […] Mais il est probable que la définition est fausse ; car je vous ferai remarquer que si la définition du romantisme c’est la littérature personnelle, la littérature confidentielle, le plus grand romantique du dix-septième siècle ce serait… Boileau !