III J’avoue qu’un sentiment plus vain, un mobile profane de gloire personnelle, se mêlait dans ma pensée à ce sentiment tout moral de préparer les masses à répudier les immoralités, les iniquités, les crimes, la guerre même, qui avaient souillé le nom du peuple dans la première république. […] Cette royauté des expiations étant impossible à rétablir, la royauté des conspirations étant impossible pour moi à aimer et à servir, cette coalition immorale et déloyale dans le parlement étant impossible à honorer, incapable de fonder, capable seulement de détruire, je n’avais plus de devoir et de lien qu’avec la politique abstraite, idéale, personnelle qui pouvait seule à un jour donné recruter, au profit des principes sainement et honnêtement progressifs, les opinions d’un peuple prêt à retomber dans l’anarchie. […] Seulement on attribua généralement cette déclaration d’hostilité loyale au gouvernement à la rancune personnelle d’une ambition trompée, qui se venge en renversant ce qu’elle a protégé la veille. […] Robespierre l’avait nommé médecin en chef et en même temps agent principal de sa confiance à cette École de Mars, corps de jeunes janissaires personnels de Robespierre, logés au Champ de Mars, qui gardaient de loin la Convention et veillaient surtout sur Robespierre lui-même, prêts à voler à son secours dans le cas où ses collègues, fatigués de sa domination, viendraient à lui livrer combat dans l’Assemblée ou dans la capitale.
On lui reproche de manquer de critique, de s’appuyer sur des documents arbitrairement choisis et sans valeur sérieuse. « Il nous cite toujours, dit-on, les Mémoires de Bourrienne, qui sont en grande partie apocryphes, et ceux de Mme de Rémusat, qui sont d’une ennemie, d’une femme qui avait contre l’empereur des griefs personnels et des griefs féminins. […] Il me semble qu’à ce moment-là les anciens serviteurs de Napoléon devaient plutôt, devant le mystère tragique de cette destinée, être pris d’une immense compassion et comme pénétrés d’une horreur sacrée où s’évanouissaient les rancunes personnelles. […] Mais il me paraît presque impossible qu’un homme placé au-dessus des autres hommes, un conducteur de peuples, n’ait jamais de vues supérieures à son intérêt personnel, du moins dans les choses où cet intérêt se confond avec l’intérêt général. […] Il ne faut donc point l’accuser d’être de mauvaise foi, c’est-à-dire d’altérer sciemment la vérité dans un intérêt personnel, — mais d’user parfois d’un peu d’artifice dans la démonstration de ce qu’il croit être la vérité.
Adieu dès lors le surnaturel, venant briser la suite logique des événements ; adieu le commode recours aux insondables desseins de la Providence, que chaque historien sondait avec désinvolture et accommodait au gré de ses convictions personnelles ! […] L’appréciation des œuvres littéraires ou artistiques, qui est affaire de goût personnel, varie et ne peut cesser de varier d’un individu à un autre ; mais ce qui est affaire de science, pure question de fait, je veux dire l’analyse des caractères qui distinguent un ouvrage, le relevé des rapports qui l’unissent aux choses du même temps, voire même la connaissance des causes qui font varier d’une époque à l’autre le genre de beauté à la mode, tout cela s’élève lentement au-dessus de la discussion. […] Il a été scientifique par l’effort des auteurs pour arriver à l’impassibilité, pour éliminer l’émotion personnelle, pour reproduire la réalité tout entière avec l’implacable fidélité d’un miroir, pour substituer à tout parti pris moral la leçon de choses qui se dégage de l’enchaînement des causes et des effets. […] Pour parler sans métaphore, il se fait dans le domaine intellectuel un partage sur de nouvelles bases entre l’élément personnel ou subjectif fourni par l’homme et l’élément réel ou objectif fourni par la nature, et le mouvement de pendule qui fait tour à tour prédominer l’un ou l’autre continue ses régulières et larges oscillations.
L’artiste aujourd’hui est maître de son outil ; il a su le rendre docile tout en le gardant farouchement personnel. […] Mais parmi votre chevelure je découvre deux cheveux un peu plus sombres que les autres et ce sont eux que j’ai tenu à louer avant tout. — On ne saurait mieux avouer qu’on n’a compris du poète que ce qu’il a de moins personnel, ses tentatives à moitié heureuses pour sortir de son domaine et ses rares efforts presque grinçants pour dire autre chose que ce qu’il peut dire. […] [Paul Redonnel] Paul Redonnel est un des talents les plus personnels et les plus complets que je connaisse : personnel souvent jusqu’à l’étrangeté ; complet et complexe parfois jusqu’à la complication.