Alors le correspondant du Times, mais le correspondant du Times, avec un traitement de 75 000 francs et la considération d’un ambassadeur, était lord Oliphant, ce personnage extraordinaire qui avait été une espèce de Brummel, un familier de princes, un diplomate en Chine et au Japon, un martyr portant encore aux deux poignets les stigmates de la martyrisation, le fondateur d’une religion à laquelle il avait donné toute sa fortune, un homme, pendant quelque temps, descendu à être un brouetteur de feuilles mortes, et redevenu dans le Times, l’intermédiaire entre l’Angleterre et la France, au moment où la France traversait ces années tragiques. […] Une composition très originale, la grande toile esquissée pour Gallimard, et représentant le paradis du théâtre de Belleville : cette grande toile faisant le fond de l’atelier, et où les personnages s’arrangent admirablement dans le croisement des courbes hémicyclaires de la salle. […] Ça ressemble au passage mécanique de personnages d’un écran, un passage de silhouettes découpées qui n’ont pas d’épaisseur. […] » Dimanche 9 novembre Cette vénération des jeunes littérateurs pour la littérature, prenant des personnages et des décors dans le passé, cette vénération qui leur fait préférer Salammbô à Madame Bovary, a pour moi quelque chose de l’admiration respectueuse des gens des secondes galeries, pour les pièces de théâtre ayant pris les personnages et les décors de notre ancienne monarchie. […] Oui, de laisser après lui des hommes et des femmes qui ne seront plus pour les vivants des siècles à venir, des personnages de livres, mais bien véritablement des morts, dont on serait tenté de rechercher une trace matérielle de leur passage sur la terre.
Jouffroy111 ; c’est l’homme seulement que nous voulons de lui, l’écrivain, le penseur, une des figures intéressantes et assez mystérieuses qui nous reviennent inévitablement dans le cercle de notre époque, un personnage qui a beaucoup occupé notre jeune inquiétude contemplative, une parole qui pénètre, et un front qui fait rêver. […] Le public, qui aime à faire le moins de frais possible en renommée, et qui est dur à accepter des noms nouveaux, voyant le Globe surgir, tenta d’en expliquer le succès, et presque le talent, par l’influence invisible et suprême de quelques personnages souvent cités. Ces personnages étaient sans doute bienveillants au Globe, mais cette bienveillance, tempérée de blâme fréquent ou même d’épigrammes légères, ne justifiait pas l’honneur qu’on leur en faisait. […] Les personnages surviendraient dans cette région avec harmonie et beauté.
Non : il nous peint des personnages vulgaires, sans distinction d’esprit ni de caractère, des mœurs basses et communes, mais il relève tout cela par des sensations rares et par un style plus rare encore ; ainsi, pour certains bibliophiles, le contenu du livre importe moins que le papier et la reliure. […] Si quelques jeunes gens, auxquels on enseigne à l’université, dans les brasseries ou les salons, que ces trois personnages sont de grands hommes, pouvaient lire ces pages et avoir l’envie de douter un peu de ces prétendues divinités, je n’aurais pas perdu mon temps. […] Si Flaubert pouvait indifféremment passer six ans avec Mme Bovary, le pharmacien Homais, le curé Bournisien, et six ans avec Salammbô, Matho, Hamilcar, des années avec Frédéric Moreau, et des années avec saint Antoine, c’est en somme que tous ces personnages lui importaient moins que l’habit qu’il voulait leur donner. […] Les Hollandais ont peint des buveurs ivres, de grasses commères sans coquetterie ; Cervantès nous a montré des brigands et des catins, Callot a dessiné des gueux, et il est certain que tous ont pris plaisir à nous présenter leurs personnages.
On a des historiens qui glissent vers la fiction, qui prêtent à leurs personnages des mots superbes et des harangues sonores, qui refusent des documents gênants en disant : Mon siège est fait ―, qui seraient presque capables, comme Paul-Louis Courier le reproche à Plutarque, de faire gagner par Pompée la bataille de Pharsale, si cela pouvait arrondir leur période. […] Je pourrais noter encore le rôle important dévolu souvent aux inventeurs, aux savants, aux médecins, les tirades sur les vibrions ou sur la liquéfaction de l’oxygène, et même l’emploi, en qualité de ressorts dramatiques, de certains engins nouveaux tels que le télégraphe et le téléphone : ressorts qui, pour le dire en passant, auraient été bien précieux au temps où régnait la règle des trois unités, puisqu’ils permettent de faire parler et prendre part à l’action les personnages absents. […] Il a été scientifique en appliquant le déterminisme au tracé des caractères, en rattachant les pensées, les sentiments et les actes des personnages à leurs antécédents, en remontant pour les expliquer aux trois milieux qui façonnent l’individu : milieu physique, milieu social, milieu psycho-physiologique. […] Un style clair, qui vaut surtout par la logique, la précision des lignes, l’enchaînement serré des idées, qui n’admet guère que des épithètes abstraites et générales ; un théâtre où les personnages sont comme détachés de leur milieu et se meuvent dans un cadre vague, indéterminé, où ils se présentent presque comme de purs esprits dont les pensées et les sentiments méritent seuls l’attention ; des tragédies simples ; d’une structure rigide et géométrique, d’une sobriété de mise en scène qui montre qu’elles s’adressent à l’âme, non aux sens ; une littérature qui se concentre tout entière dans l’étude, de l’homme civilisé, qui ne daigne ou ne sait pas voir le reste de l’univers, qui ne connaît pas la campagne, qui soumet l’imagination, « la folle du logis », aux commandements de la raison, qui marche à pas comptés, d’une allure méthodique et posée.