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1192. (1867) Nouveaux lundis. Tome VII « Alexis Piron »

Pour en bien juger, il convient de se remettre à la perspective du temps et de baisser un peu la lumière de la rampe ; dans ce jour modéré et qui permet de mieux écouter chaque vers, l’ouvrage devient très-agréable à entendre. […] Piron avait eu à se louer de lui, on l’a vu, à l’occasion de la Métromanie ; ils n’étaient pas ensemble en très-mauvais termes, et Des Fontaines n’abusait pas trop du permis de chasse que le poète lui avait donné. […] Malgré cette petite guerre, il paraît que Piron voyait Des Fontaines, qu’il le visitait même, et l’on raconte qu’à cette occasion il trouva moyen, en contrefaisant le bonhomme, d’amener l’abbé à écrire sous sa dictée la sanglante épigramme dirigée contre lui ; ce fut un vrai tour d’adresse ; les circonstances nous échappent : il est permis d’y suppléer. […] Le diable, d’ailleurs, avec lui, n’y perdit rien ; le malin vieillard continua jusqu’à la fin de copier, tant que ses yeux le lui permirent, ses vers salés, de lâcher ses épigrammes mordantes, et de lancer ses bons mots au nez d’un chacun. […] Le buste de Piron que je viens d’indiquer nous permet également de nous replacer devant lui et nous le montre.

1193. (1864) Portraits littéraires. Tome III (nouv. éd.) « M. de Rémusat (passé et présent, mélanges) »

J’en ai parcouru tout un recueil manuscrit, duquel je ne me crois permis de rien détacher. […] On ne retrouve pas moins, à l’occasion, un ancien fond de libéralisme beaucoup plus net et plus marqué, s’il m’est permis de le dire, que chez aucun des hommes distingués qui ont passé par la nuance doctrinaire. […] Qu’une remarque ici, une conjecture me sait permise. […] Sans me permettre d’entrer ici dans les différences qui les caractérisent et en laissant de côté ce qu’il y a de particulier dans chacun d’eux, j’avoue pour mon compte avoir ignoré jusque-là, avant de l’avoir considéré dans leur exemple, ce que c’est que la justesse d’esprit en elle-même, cette faculté modérée, prudente, vraiment politique, qui ne devance qu’autant qu’il est nécessaire, mais toujours prête à comprendre, à accepter sagement, à aviser, et qui, après tant d’années, se retrouve sans fatigue au pas de tous les événements, si accélérés qu’ils aient pu être. […] Qu’il nous soit permis d’apporter ici, à l’appui de notre opinion, un exemple que nous ne saurions nous empêcher de trouver fort remarquable ; c’est le petit écrit qu’a inspiré à un jeune homme la lecture de l’ouvrage de Mme de Staël ; sans doute les semences que contient cet ouvrage trouveront rarement une terre aussi promptement, aussi richement féconde.

1194. (1866) Petite comédie de la critique littéraire, ou Molière selon trois écoles philosophiques « Première partie. — L’école dogmatique — Chapitre premier. — Une leçon sur la comédie. Essai d’un élève de William Schlegel » pp. 25-96

Je ne demande point au poète comique une morale positive ; je ne lui demande même pas de s’interdire la représentation de la ruse, du mensonge, de l’égoïsme, des mauvaises passions, de 1 immoralité en un mot ; la comédie ferait mieux de ne rien peindre de pire que des ridicules, mais il lui est permis de produire sur la scène le vice lui-même, pourvu que le poète ait une assez grande intelligence de son art et assez de tact moral pour empêcher que ma conscience ne vienne élever sa voix au milieu de la fête qu’il donne à mon esprit. […] Ne me sera-t-il pas permis, dans le voyage philosophique que je fais à travers les littératures étrangères, de mettre au premier rang ce poète, et de proposer son idéal à nos Allemands, qui cherchent, sans L’avoir encore trouvée, leur comédie nationale29 ? […] Mais pourquoi ne nous serait-il pas permis de nous divertir, sans profit, d’un badinage ingénieux ? […] Ne nous laissons pas de lui répondre qu’il est permis au poète d’inventer une fable aussi hardie, aussi fantastique qu’il lui plaît, de la rendre même folle et absurde54, pourvu que toutes les parties en soient d’accord et que chaque détail s’harmonise avec la donnée première. […] Le poète nous présente, il est vrai, tout ce qu’il y a de plus extraordinaire ou même de plus incroyable ; il se permet souvent, dès l’entrée, une grande invraisemblance, telle que la parfaite conformité de deux figures ; mais il faut que tous les incidents qui dérivent de cette première donnée, en paraissent la suite nécessaire.

1195. (1861) Cours familier de littérature. XI « LXIIIe entretien. Cicéron (2e partie) » pp. 161-256

Enfin il s’élevait de raisonnements en raisonnements jusqu’au ciel, et il y découvrait, autant que la faible intelligence humaine le permet, la vraie nature de la Divinité, unique, infinie et parfaite à travers le nuage des idolâtries de son temps. […] Tu ne peux rester plus longtemps ; je ne le souffrirai pas, je ne le supporterai pas, je ne le permettrai pas. […] Au surplus, son cœur irrité ne méditait que la vengeance ; et moi, je ne m’occuperai de mes ennemis qu’autant que la république me le permettra. […] « Car l’homme, ajoute-t-il, doit se souvenir qu’il n’est pas seulement pour lui seul, mais pour les siens, pour sa patrie, et que c’est de la moindre partie de lui-même qu’il lui est permis de s’occuper ; et, comme la nature nous a doués d’un invincible attrait pour la vérité, inspirés que nous sommes par ce noble instinct, nous aimons forcément tout ce qui est vrai et réel, comme la bonne foi, la fidélité, la candeur, la constance, et nous haïssons tout ce qui est faux et trompeur, comme la fraude, le parjure, la méchanceté, l’injustice. […] Un Cerbère à trois têtes, les flots bruyants du Cocyte, le passage de l’Achéron, un Tantale mourant de soif et qui a de l’eau jusqu’au menton sans qu’il y puisse tremper ses lèvres ; ce rocher contre lequel Sisyphe, épuisé, hors d’haleine, perd, à rouler toujours, ses efforts et sa peine ; des juges inexorables, Minos et Rhadamanthe, devant lesquels, au milieu d’un nombre infini d’auditeurs, vous serez obligé de plaider vous-même votre cause, sans qu’il vous soit permis d’en charger ou Crassus ou Antoine, ou, puisque ces juges sont grecs, Démosthène : voilà l’objet de votre peur, et sur ce fondement vous croyez la mort un mal éternel.

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